Cameroun : Issa Tchiroma Bakary, un candidat consensuel ou contesté ?


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Issa Tchiroma Bakary-
Issa Tchiroma Bakary-

À moins d’un mois de l’élection présidentielle prévue le 12 octobre 2025 au Cameroun, la scène politique connaît un nouveau tournant avec la désignation d’Issa Tchiroma Bakary comme candidat consensuel de l’opposition, une initiative portée par l’Union pour le Changement 2025. Ce choix suscite à la fois espoirs, critiques et interrogations dans un paysage électoral marqué par la longévité du Président sortant Paul Biya, au pouvoir depuis 1982, et l’exclusion controversée de figures majeures comme Maurice Kamto.

Un choix stratégique, mais controversé

Issa Tchiroma Bakary, ancien ministre de la Communication et ex-porte-parole du gouvernement, est un acteur politique bien connu des Camerounais. Longtemps perçu comme un allié fidèle du régime de Paul Biya, son ralliement à l’opposition soulève d’emblée des soupçons de calcul politique. Sa désignation comme « candidat consensuel » a été annoncée par les facilitateurs de l’Union pour le Changement 2025, notamment Anicet Ekane et Djeukam Chameni, qui affirment avoir obtenu un vote unanime en sa faveur.

Ce consensus repose toutefois sur une base relativement floue. Si une cinquantaine de partis et associations auraient exprimé leur soutien, aucun détail clair n’a été fourni quant aux critères de sélection ni à la légitimité représentative de ces structures. Tchiroma est également le seul parmi les 11 candidats de l’opposition à avoir accepté les conditions fixées par les facilitateurs, telles qu’un mandat unique, un audit de l’État, l’organisation d’assises nationales et une transition de 3 à 5 ans.

Un consensus de façade ?

Malgré son label de « candidat du consensus », Tchiroma se retrouve isolé, puisque aucun des dix autres candidats de l’opposition n’a retiré sa candidature. Le consensus, tel qu’annoncé, n’est donc pas un accord politique formel entre les principales figures de l’opposition, mais plutôt une construction narrative destinée à séduire l’opinion publique, notamment en misant sur un programme dit « minimum commun » censé répondre aux aspirations populaires.

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Dans ce sens, le groupe de facilitateurs semble avoir élargi sa définition du consensus en y incluant l’adhésion populaire plus que l’unité des forces politiques. Djeukam Chameni le confirme : « Le consensus que nous recherchons est un consensus avec le peuple camerounais ». Cette orientation marque une rupture avec les précédentes tentatives d’unification de l’opposition, souvent bloquées par les divisions internes, les querelles d’ego et les rivalités historiques.

Tchiroma, un ancien du régime qui veut incarner la rupture

L’ironie de la situation n’échappe à personne : Issa Tchiroma a longtemps été un ardent défenseur du régime, y compris dans ses aspects les plus controversés, comme la répression de l’opposition ou les violations des droits de l’homme. Pourtant, dans sa première déclaration en tant que candidat consensuel, il s’est voulu rassembleur, lançant un appel à l’unité de l’opposition, de la société civile et de la diaspora. Il a aussi directement défié Paul Biya, l’accusant d’avoir gouverné « par la peur et la division », et se présentant comme le messager de l’espoir, de la réconciliation et de la reconstruction nationale.

Cette posture de rupture semble stratégique. En endossant un programme de transition limité dans le temps, il cherche à rassurer les électeurs quant à ses intentions, tout en s’érigeant en artisan d’une alternance apaisée. Reste à savoir si cette mue politique convaincra une population de plus en plus méfiante envers les élites politiques traditionnelles.

Une opposition éclatée, mais encore vivace

La liste officielle publiée par ELECAM comprend 13 candidats validés sur 83 dossiers déposés, illustrant à la fois l’intérêt pour cette présidentielle et la rigueur des critères de sélection. L’absence de Maurice Kamto, leader du Mouvement pour la Renaissance du Cameroun (MRC), reste un choc pour ses partisans. Son exclusion, officiellement pour des raisons administratives, est perçue par plusieurs comme une manœuvre politique visant à affaiblir l’opposition.

Parmi les candidats retenus, on retrouve des figures comme Cabral Libii (PCRN), Joshua Osih (SDF), Bello Bouba Maïgari (UNDP), et la seule femme en lice, Hermine Patricia Tomaino Ndam Njoya de l’Union Démocratique du Cameroun (UDC). Cette dernière, héritière politique de son défunt mari Adamou Ndam Njoya, représente une alternative singulière, à la fois féminine et modérément progressiste, avec un programme structuré autour de la gouvernance, de l’unité nationale, et de la démocratie.

Une candidature féminine face à un paysage masculinisé

La présence unique d’une femme, Tomaino Ndam Njoya, dans cette élection souligne le faible engagement des femmes en politique au Cameroun, souvent marginalisées ou reléguées au second plan. Ancienne députée, actuelle maire de Foumban et porte-parole du Conseil régional de l’Ouest, elle apporte une expérience notable et un programme articulé autour de cinq axes prioritaires, dont la bonne gouvernance, la résolution des crises et la lutte contre la corruption.

En plus d’incarner une voix féminine dans un espace politique dominé par les hommes, elle ambitionne de faire de l’UDC un véritable parti d’opposition crédible, capable de porter un projet alternatif au régime Biya. La Présidentielle du 12 octobre 2025 s’annonce comme un moment de bascule dans l’histoire politique du Cameroun. La longévité de Paul Biya, son système de gouvernance centralisé et la fatigue démocratique de la population rendent cette élection particulièrement sensible.

Vers une élection à haut risque politique

La désignation d’Issa Tchiroma Bakary comme candidat consensuel de l’opposition pourrait constituer un tournant stratégique, à condition qu’elle ne reste pas un simple affichage. Toutefois, l’absence de véritable unité entre les forces d’opposition, le rejet de candidatures majeures, et le manque de transparence du processus électoral laissent planer de sérieux doutes sur l’issue du scrutin. Le peuple camerounais, quant à lui, reste en attente de changement, mais il lui revient désormais de trancher entre continuité, rupture authentique ou recomposition politique.

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Très attaché à l’Afrique Centrale que je suis avec une grande attention. L’Afrique Australe ne me laisse pas indifférent et j’y fais d’ailleurs quelques incursions
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