AES–Nigeria : un atterrissage d’un avion militaire ravive les tensions autour de l’espace aérien sahélien


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Drapeau de l'AES
Drapeau de l'AES

La querelle diplomatique entre l’Alliance des États du Sahel et le Nigeria s’est brutalement intensifiée après l’arrivée inattendue d’un avion militaire nigérian au Burkina Faso. Ce déroutement, que Lagos présente comme une simple urgence technique, a été perçu par les autorités sahéliennes comme un signal d’alarme dans une région déjà sous haute tension.

L’Alliance des États du Sahel (AES), regroupant le Burkina Faso, le Mali et le Niger, a dénoncé, le 8 décembre 2025, ce qu’elle considère comme une violation délibérée de son espace aérien après l’arrivée non autorisée d’un avion militaire nigérian C-130 à Bobo-Dioulasso. L’incident, survenu dans un contexte politique particulièrement tendu en Afrique de l’Ouest, oppose désormais frontalement l’organisation sahélienne à Abuja, qui assure pour sa part qu’il ne s’agit que d’un déroutement d’urgence motivé par des raisons techniques.

Un atterrissage imprévu qui met l’AES en alerte maximale

Selon le communiqué lu à la télévision publique des trois États membres, l’avion de transport C-130, qui acheminait neuf militaires et deux membres d’équipage vers le Portugal, a été contraint d’effectuer une descente d’urgence alors qu’il survolait le Burkina Faso. Les autorités de l’AES affirment qu’aucune autorisation de survol n’avait été délivrée au préalable, ce qui constitue, selon elles, une entorse grave aux règles de l’aviation militaire internationale et à la souveraineté de la Confédération.

Les dirigeants sahéliens, par la voix du ministre malien de la Sécurité, ont vivement dénoncé un acte jugé « inamical » et contraire au droit international. Ils ont annoncé l’ouverture immédiate d’une enquête interne, laquelle aurait montré que le Nigeria n’avait soumis aucune demande officielle de survol au Burkina Faso. L’AES a ajouté que ses systèmes de défense aérienne, déjà placés en vigilance renforcée depuis décembre 2024, ont été mis en alerte maximale. Elle avertit que tout appareil pénétrant sans autorisation dans le ciel confédéral pourrait désormais être neutralisé.

La version nigériane : un incident purement technique et conforme aux procédures

Face à cette montée de tension, l’Armée de l’air nigériane a publié sa propre mise au point. Dans un communiqué signé par le commodore Ehimen Ejodame, le Nigeria confirme l’atterrissage du C-130 à Bobo-Dioulasso, mais insiste sur son caractère pleinement involontaire. L’appareil, explique Abuja, a rencontré une anomalie technique peu après son décollage depuis Lagos, forçant l’équipage à rechercher la piste la plus proche disponible. La procédure aurait donc été strictement conforme aux normes de sécurité aérienne et aux protocoles internationaux en cas d’urgence en vol.

Le Nigeria ajoute que les militaires ont été reçus « avec courtoisie » par les autorités locales, et que des dispositions sont en cours pour permettre à l’appareil de reprendre son trajet initial vers le Portugal. Abuja rejette ainsi l’idée d’une incursion intentionnelle dans l’espace aérien burkinabè et réaffirme son engagement au respect des régulations internationales.

Un contexte régional explosif qui amplifie l’affaire

Si l’incident prend de telles proportions, c’est en grande partie en raison du climat géopolitique extrêmement tendu en Afrique de l’Ouest. L’atterrissage du C-130 intervient en effet au lendemain du déploiement d’avions militaires nigérians au Bénin, opération menée à la demande de Porto-Novo et sous l’ombrelle de la CEDEAO, dans le cadre de la réaction régionale à la tentative de putsch du 7 décembre. Or, l’AES a officiellement quitté la CEDEAO début 2025, en pleine rupture politique avec les autorités nigérianes et ivoiriennes, considérées comme les piliers de l’organisation ouest-africaine.

Les pays sahéliens dénoncent régulièrement ce qu’ils perçoivent comme des ingérences extérieures dans leurs choix stratégiques et sécuritaires. La présence accrue des forces nigérianes dans la région est donc regardée avec suspicion, d’autant que les relations entre Abuja et les régimes militaires du Sahel se sont considérablement dégradées au cours des derniers mois. Dans ce contexte, l’arrivée impromptue d’un avion militaire nigérian sur le sol burkinabè a immédiatement été interprétée par l’AES comme une menace potentielle, plutôt que comme un simple incident technique.

Une affaire révélatrice de la reconfiguration sécuritaire au Sahel

Au-delà de l’incident lui-même, cette confrontation verbale témoigne davantage d’un paysage géopolitique en pleine recomposition. Les pays de l’AES renforcent progressivement leur autonomie militaire, affirmant leur volonté de contrôler strictement leur espace aérien et de réduire la marge d’action des puissances extérieures, qu’elles soient occidentales ou africaines. Cette posture proactive inclut notamment le déploiement de dispositifs antiaériens plus sophistiqués et des règles d’engagement plus strictes.

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Très attaché à l’Afrique Centrale que je suis avec une grande attention. L’Afrique Australe ne me laisse pas indifférent et j’y fais d’ailleurs quelques incursions
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