Algérie : les tarifs douaniers en trompe-l’œil de Trump


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Trump Tebboune
Trump Tebboune

La nouvelle doctrine commerciale américaine du « Liberation Day » annoncée par Donald Trump a fait grand bruit avec ses tarifs douaniers différenciés pour le Maghreb. L’Algérie, frappée d’une taxe de 30%, apparaît sur le papier comme la grande perdante face au Maroc (10%) et à la Tunisie (28%). Une analyse détaillée des flux commerciaux révèle pourtant une tout autre réalité : Alger sort paradoxalement renforcée de cette réorganisation tarifaire.

Le mirage des 30% : l’exemption pétrolière transforme la mesure punitive en avantage stratégique

L’application du principe de « réciprocité tarifaire » par l’administration Trump suit une logique mathématique simple : les États-Unis imposent la moitié des droits appliqués par leurs partenaires commerciaux. L’Algérie, avec ses barrières douanières de 59% sur les produits américains, se voit donc théoriquement sanctionnée par un taux de 30%.

Cette approche, séduisante dans sa simplicité apparente, occulte cependant la structure fondamentale des échanges algéro-américains. Sur un volume total d’exportations de 2,5 milliards de dollars en 2024, les hydrocarbures représentent plus de 80% des flux, soit environ 2 milliards de dollars. Or, ces produits énergétiques bénéficient d’une exemption totale dans le nouveau dispositif américain.

Une exemption stratégique aux multiples lectures

Cette exclusion des hydrocarbures n’est pas fortuite. Elle reflète plusieurs considérations stratégiques de Washington :

  • La sécurité énergétique reste prioritaire. Dans un contexte géopolitique tendu, les États-Unis maintiennent une diversification de leurs approvisionnements énergétiques. En outre, la réalité économique prime. Taxer les importations pétrolières algériennes aurait un impact direct sur les consommateurs américains, une option politiquement risquée pour l’administration Trump qui mise sur la baisse des prix de l’énergie.
  • L’Algérie, producteur stable et fiable, constitue une alternative précieuse aux turbulences moyen-orientales.
  • Un signal diplomatique positif. Cette exemption s’inscrit dans la dynamique de rapprochement amorcée entre Alger et Washington.

Ainsi, contrairement aux apparences, les 30% affichés masquent une main tendue américaine, reconnaissant implicitement le poids géostratégique de l’Algérie dans la région.

L’impact réel : 500 millions sous le radar

Concrètement, les nouveaux tarifs ne concerneront que les exportations non pétrolières algériennes, soit environ 500 millions de dollars. Cette base réduite transforme radicalement l’équation économique. Même avec un taux de 30%, l’impact financier reste marginal pour l’économie algérienne, représentant moins de 0,1% du PIB national. Et dans les échanges comerciaux entre les deux pays, comme l’Algérie exporte 2,5 fois plus vers les États-Unis qu’elle n’importe. Avec un exédent commercial de plus de 1,5 milliars de dollars, Alger va donc rester largement bénéficiaire.

Cette situation contraste fortement avec celle de la Tunisie, dont les exportations agricoles – notamment l’huile d’olive – subiront de plein fouet les 28% de taxation. Sans secteur pétrolier pour amortir le choc, Tunis fait face à une véritable menace sur ses 1,1 milliard de dollars d’exportations vers les États-Unis.

L’ironie de la situation n’échappe à personne : l’Algérie, avec ses droits de douane de 59%, s’en tire mieux que le Maroc libéral et ses 10% de taxation. L’exemption pétrolière permet à Alger de maintenir ses barrières douanières élevées évitant les importations massives de produits américains, tout en préservant l’essentiel de ses revenus d’exportation vers les États-Unis. A l’opposé, le Maroc avec ses taux de douanes faibles, se retrouve dans une position de dépendance vis à vis de Trump. En effet, avec 5,3 milliards de dollars d’exportations américaines contre 1,9 milliard d’importations marocaines, le déficit commerciale marocain est de 3,4 milliards vis à vis de Washington.

Les dividendes d’un rapprochement discret

Au-delà des considérations commerciales, cette politique tarifaire américaine confirme le réchauffement des relations algéro-américaines. Les visites diplomatiques récentes, les coopérations sécuritaires renforcées et les investissements croissants dans le secteur énergétique algérien trouvent ici une traduction concrète.

Washington reconnaît de facto le rôle stabilisateur de l’Algérie dans une région sahélienne en proie aux turbulences. Cette reconnaissance se matérialise par une politique tarifaire qui, derrière des apparences punitives, préserve les intérêts fondamentaux d’Alger.

Dans le grand jeu des relations commerciales internationales, l’Algérie démontre qu’il vaut parfois mieux être sanctionné à 30% avec des exemptions stratégiques qu’exempté à 10% sans marge de manœuvre. Une leçon de realpolitik que les voisins maghrébins méditeront certainement.

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Ali Attar est un spécialiste reconnu de l'actualité du Maghreb. Ses analyses politiques, sa connaissance des réseaux, en font une référence de l'actualité de la région.
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