Tarifs Trump : le piège des 10% marocains et une hémorragie commerciale qui s’accentue


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Le roi du Maroc, aux côtés du couple Trump
Le roi du Maroc, aux côtés du couple Trump

Les nouveaux tarifs douaniers américains du « Liberation Day » semblent épargner le Maroc avec un taux maintenu à 10%, contre 30% pour l’Algérie et 28% pour la Tunisie. Cette clémence apparente, célébrée par certains comme la récompense d’une alliance historique, dissimule pourtant une réalité commerciale brutale : le Royaume chérifien reste le grand perdant économique de cette nouvelle donne tarifaire.

Le maintien du taux de 10% pour le Maroc s’explique par l’Accord de libre-échange (ALE) signé en 2006, unique en son genre entre les États-Unis et un pays africain. Cette exception diplomatique, brandie comme un trophée de la relation privilégiée maroco-américaine, masque mal l’échec économique qu’elle représente.

Depuis 2006, les échanges commerciaux ont certes explosé, passant de 1,3 à 7,2 milliards de dollars en 2024. Mais cette croissance spectaculaire cache une asymétrie croissante : les exportations américaines vers le Maroc ont été multipliées par six, tandis que les exportations marocaines n’ont même pas triplé. Ainsi, le déficit commercial marocain s’est creusé de manière vertigineuse.

3,4 milliards de déficit : le prix de l’amitié américaine

Les chiffres parlent d’eux-mêmes : en 2024, le Maroc importe pour 5,3 milliards de dollars de produits américains mais n’exporte que 1,9 milliard en retour. Ce déficit de 3,4 milliards de dollars représente une hémorragie de devises considérable pour l’économie marocaine, équivalant à près de 3% du PIB national.

Cette situation contraste dramatiquement avec celle de l’Algérie qui, malgré ses 30% de taxation annoncés, maintient un excédent commercial de 1,5 milliard de dollars avec les États-Unis. L’exemption des hydrocarbures algériens transforme la sanction apparente en avantage stratégique, tandis que le Maroc subit de plein fouet le déséquilibre commercial.

Le mirage de l’accord de libre-échange

L’ALE maroco-américain, présenté comme un succès diplomatique majeur, révèle ses limites structurelles. Conçu dans une logique d’ouverture asymétrique, il a transformé le Maroc en débouché captif pour les produits américains sans générer les exportations marocaines espérées.

Les secteurs censés bénéficier de cet accord – textile, agroalimentaire, composants électroniques – peinent à percer sur le marché américain. Les barrières non tarifaires, les normes sanitaires et phytosanitaires, et la concurrence asiatique ont réduit à néant les ambitions exportatrices marocaines. Pendant ce temps, les produits américains – céréales, équipements industriels, technologies – inondent le marché marocain sans entraves.

Une dépendance qui s’accentue

Le maintien des 10% de droits de douane, loin d’être une victoire de Mohammed VI, perpétue un système qui vampirise l’économie marocaine. Chaque année, le déficit commercial s’aggrave, créant une dépendance structurelle aux importations américaines. Cette situation fragilise la balance des paiements du Royaume et limite ses marges de manœuvre économiques.

Plus inquiétant encore, cette dépendance commerciale s’accompagne d’une dépendance politique. Le Maroc, piégé dans cette relation déséquilibrée, ne peut se permettre de remettre en question un accord qui, bien que défavorable économiquement, reste présenté comme le symbole de son statut d’allié privilégié des États-Unis.

Face à cette situation, Rabat mise sur le développement de son industrie automobile pour inverser la tendance. Les récentes annonces d’investissement de Tesla au Maroc s’inscrivent dans cette stratégie. L’idée est de transformer le Maroc en plateforme d’exportation automobile vers les États-Unis. Mais ce pari reste hautement spéculatif. L’industrie automobile marocaine, déjà en difficulté face à la concurrence européenne et asiatique, devra affronter les géants américains sur leur propre marché.

Le coût caché de la normalisation

La clémence tarifaire américaine n’est pas gratuite. Elle s’inscrit dans un package politique plus large incluant la normalisation avec Israël, en échange d’un soutien de plus en plus fragile au plan marocain concernant le Sahara occidental. En outre elle impose à Mohammed VI un alignement sur les priorités géostratégiques de Washington.

Le Maroc paie ainsi son statut privilégié non seulement en devises sonnantes et trébuchantes, mais aussi en souveraineté politique.

Zainab Musa
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Zainab Musa est une journaliste collaborant avec afrik.com, spécialisée dans l'actualité politique, économique et sociale du Maghreb et de l'Afrique de l'Ouest. À travers ses enquêtes approfondies et ses analyses percutantes, elle met en lumière des sujets sensibles tels que la corruption, les tensions géopolitiques, les enjeux environnementaux et les défis de la transition énergétique. Ses articles traitent également des évolutions sociétales et culturelles, notamment à travers des reportages sur les figures influentes du Maroc et de l’Algérie. Son approche rigoureuse et son regard critique font d’elle une voix incontournable du journalisme africain francophone.
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