AGOA en sursis : quand les États-Unis fragilisent le commerce africain


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Commerce international
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Depuis l’an 2000, l’African Growth and Opportunity Act (AGOA) a constitué un pilier des relations commerciales entre les États-Unis et l’Afrique subsaharienne. Permettant à 32 pays africains d’exporter près de 7 000 produits vers le marché américain sans droits de douane, cet accord a favorisé l’essor de secteurs clés comme le textile, l’agriculture ou les industries extractives. Mais à quelque jours de son expiration programmée (30 septembre 2025), et face à une nouvelle politique protectionniste menée par l’administration Trump, l’AGOA est plus que jamais menacé. Madagascar, en première ligne, mène actuellement une campagne diplomatique intense à Washington pour sauver ce qui peut encore l’être.

Madagascar à la tête du lobbying africain

Le 8 septembre 2025, le ministre malgache du Commerce, David Ralambofiringa, accompagné de son homologue des Mines et de représentants des secteurs du textile et de la vanille, a entamé une mission stratégique à Washington. L’objectif : convaincre les autorités américaines de prolonger l’AGOA au-delà de sa date butoir du 30 septembre 2025. Aux côtés des autres membres du groupe « T-Five », Kenya, Tanzanie, Maurice et Lesotho, Madagascar cherche à préserver les bénéfices engrangés au cours des 25 dernières années : investissements étrangers, emplois directs, et compétitivité sur le marché mondial.

Selon Ralambofiringa, les députés américains comprennent bien les enjeux. Le problème réside ailleurs : « Nous attendons un signal de la Maison Blanche, mais les priorités géopolitiques actuelles retardent toute avancée », souligne-t-il. L’annonce de nouveaux droits de douane par l’administration Trump, en avril 2025, a précipité l’AGOA dans une crise sans précédent. Sous couvert de « réciprocité », les États-Unis imposent désormais un tarif universel de 10%, avec des hausses pouvant atteindre 50% sur certains produits africains.

Le choc Trump : tarifs douaniers et revirement brutal

Ces mesures, qui visent à compenser les prétendus déséquilibres commerciaux, réduisent à néant les avantages de l’AGOA. Madagascar, par exemple, voit ses exportations de vanille et de textile frappées par une taxe de 47%. Le Lesotho, spécialiste du denim, est soumis à un tarif record de 50%, tandis que Maurice encaisse 40% sur ses produits manufacturés. Pour ces économies fragiles, c’est un véritable cataclysme économique.

Parmi les secteurs les plus affectés, le textile et l’habillement. Piliers de l’économie d’exportation pour Madagascar, le Lesotho et Maurice, ces industries sont désormais gravement menacées. Des milliers d’emplois sont en jeu, dans des pays où les débouchés alternatifs sont rares. Sans l’accès préférentiel au marché américain, les produits africains deviennent non compétitifs face aux géants asiatiques.

Un coup économique, mais aussi sanitaire et diplomatique

Il y a aussi l’agriculture et l’agroalimentaire. En effet, l’Afrique du Sud, premier exportateur africain vers les États-Unis, anticipe la perte de plus de 35 000 emplois dans le seul secteur des agrumes. Les chaînes de valeur agricoles, déjà fragiles, pourraient s’effondrer sous la pression tarifaire. Sans compter les minerais et métaux précieux. Si l’énergie reste partiellement épargnée, les droits de douane touchent de plein fouet les exportations de platine, d’or ou de diamants, vitaux pour des pays comme l’Afrique du Sud, le Ghana ou la Namibie. Or, ces matières premières sont cruciales pour l’industrie américaine.

Lire aussi : Trump suspend l’aide américaine : un coup fatal aux programmes de lutte contre le VIH en Afrique

L’impact des décisions de Washington ne se limite pas au commerce. Dès son retour à la Maison-Blanche en janvier 2025, Donald Trump a suspendu l’essentiel de l’aide étrangère américaine, dont les programmes de santé comme le PEPFAR, pilier de la lutte contre le VIH en Afrique. Résultat : des ruptures d’approvisionnement en médicaments sont signalées dans plusieurs pays, menaçant des millions de vies. En parallèle, le retrait des États-Unis de l’OMS aggrave la situation sanitaire mondiale, affaiblissant les systèmes de santé déjà sous pression.

Des réponses africaines contrastées

Face à cette crise, les pays africains réagissent de manière diverse. Certains, comme le Zimbabwe, ont choisi de lever leurs propres barrières douanières dans une tentative d’apaisement. D’autres, notamment l’Afrique du Sud, persistent à chercher des exemptions ciblées. Mais une tendance se dégage : la redéfinition des partenariats commerciaux africains. La Chine, qui a récemment supprimé ses tarifs pour 33 pays africains, se profile comme un partenaire de substitution crédible.

De même, l’Union africaine pousse à l’accélération de la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf), longtemps restée en gestation. Ce retournement de dynamique pourrait, à terme, renforcer l’autonomie économique du continent. En 2024, les exportations africaines sous l’AGOA représentaient encore 8 milliards de dollars. La mise en œuvre des nouvelles taxes américaines remet désormais en question l’ensemble de cet édifice. L’accord, prévu pour expirer fin septembre 2025, risque de disparaître sans transition ni renégociation, à un moment où de nombreux pays africains sont déjà en crise financière.

Pour l’Afrique, cette période charnière pourrait marquer un tournant historique : soit elle subit une marginalisation commerciale croissante, soit elle en profite pour revoir ses modèles de croissance, miser sur l’intégration régionale et diversifier ses débouchés.

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Très attaché à l’Afrique Centrale que je suis avec une grande attention. L’Afrique Australe ne me laisse pas indifférent et j’y fais d’ailleurs quelques incursions
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