Nationalité et pouvoir : d’Abidjan à Bangui, la nouvelle arme contre les opposants


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Anicet Georges Dologuélé
Anicet Georges Dologuélé

À un peu plus de deux mois de la Présidentielle du 28 décembre, la candidature d’Anicet-Georges Dologuélé est compromise. La justice centrafricaine a annulé son certificat de nationalité, estimant qu’il n’est plus citoyen centrafricain depuis son acquisition de la nationalité française en 1994. Cette controverse n’est pas sans rappeler celle qui secoue la Côte d’Ivoire, où Tidjane Thiam, figure de l’opposition, a lui aussi vu sa nationalité remise en question à la veille du scrutin présidentiel.

La fièvre électorale embrase déjà la République centrafricaine où l’élection présidentielle est prévue pour le 28 décembre. Mais dans le camp de l’ancien Premier ministre, Anicet-Georges Dologuélé, l’incertitude plane.

Anicet-Georges en voie d’être déclaré hors course pour la Présidentielle

La scène politique centrafricaine est en pleine tourmente. À Bangui, la candidature d’Anicet-Georges Dologuélé à la Présidentielle du 28 décembre 2025 est désormais en suspens, après l’invalidation de son certificat de nationalité par la justice. Le tribunal de grande instance de Bangui a déclaré, jeudi 16 octobre, « nul et de nul effet » le document présenté par l’opposant, au motif qu’il aurait perdu sa nationalité centrafricaine en devenant français il y a plus de trente ans.

Pourtant, Dologuélé pensait avoir pris toutes les dispositions pour se conformer à la nouvelle Constitution de 2023, qui interdit aux binationaux de briguer la magistrature suprême. En renonçant officiellement à sa nationalité française en août dernier, le président de l’Union pour le renouveau centrafricain (URCA) croyait lever le dernier obstacle à sa candidature. C’était sans compter avec une lecture rigide du Code de la nationalité de 1961, un texte ancien mais désormais au cœur d’une bataille juridique et politique.

Un texte vieux de plus de soixante ans, remis au goût du jour

Selon le gouvernement, ce code stipule qu’un Centrafricain devenu volontairement citoyen d’un autre pays perd sa nationalité d’origine, et qu’il ne peut la recouvrer qu’à travers un décret présidentiel de réintégration. En clair, Dologuélé serait actuellement apatride, ni reconnu comme Français, ni réadmis comme Centrafricain.

C’est sur cette base que le ministère de la Justice a refusé de lui délivrer un passeport centrafricain, et que le parquet a saisi le tribunal pour annuler son certificat de nationalité de 2012, un document pourtant utilisé lors de ses candidatures précédentes, notamment en 2015 et 2020, et pour son élection comme député.

Pour Anicet-Georges Dologuélé, cette décision est avant tout politique. Dans une lettre adressée au Président Faustin-Archange Touadéra, il a dénoncé un « acharnement » visant à l’exclure de la course électorale, et a ironisé sur la logique du gouvernement : « Si le Code de 1961 s’applique, alors des centaines de ministres, députés, fonctionnaires et militaires devraient être démis de leurs fonctions, car ils sont également concernés ».

L’opposant estime que ce texte est « tombé en désuétude », car jamais appliqué dans la pratique. Le pouvoir, lui, campe sur sa position. Le directeur de cabinet du Président Touadéra, Obed Namsio, a qualifié les propos de Dologuélé d’« offensants » et a menacé de poursuites judiciaires, tout en affirmant que le président Touadéra « n’interfère pas dans le processus électoral ».

Un précédent ivoirien : Tidjane Thiam, entre exclusion et instrumentalisation politique

La situation d’Anicet-Georges Dologuélé fait écho à celle de Tidjane Thiam en Côte d’Ivoire, dont la radiation de la liste électorale en mai 2025 a provoqué un tollé national et international. Là aussi, la question de la nationalité a été utilisée comme un outil politique pour écarter un adversaire sérieux du pouvoir en place.

Ancien ministre et dirigeant du groupe Crédit Suisse, Tidjane Thiam avait pourtant récupéré sa nationalité ivoirienne en bonne et due forme après plusieurs décennies passées à l’étranger. Mais la Commission électorale indépendante (CEI) a jugé qu’il n’était pas inscrit régulièrement, tandis que ses détracteurs évoquaient sa « double nationalité » supposée. Comme Dologuélé à Bangui, Thiam a dénoncé une instrumentalisation de la législation nationale pour limiter la compétition démocratique.

Les deux cas ont un point commun fondamental : ils illustrent la vulnérabilité juridique des opposants issus de la diaspora dans des contextes politiques verrouillés. Alors que les constitutions africaines ont souvent été révisées pour exclure les binationaux, ces dispositions servent de prétextes à des exclusions ciblées, surtout lorsque les candidats concernés bénéficient d’une forte popularité.

Entre droit et politique, une frontière fragile

Le Conseil constitutionnel centrafricain doit examiner d’ici au 29 octobre les dix dossiers de candidature à la Présidentielle. Mais les observateurs doutent que Dologuélé puisse être retenu sans la reconnaissance officielle de sa nationalité. Tout comme Thiam, finalement laissé sur la touche en Côte d’Ivoire, malgré tous les recours qu’il a introduits.

Ces deux affaires soulignent à quel point, en Afrique francophone, la nationalité est devenue une variable politique, mobilisée au gré des rapports des forces. Derrière le vernis juridique, se joue souvent un enjeu plus profond : celui du contrôle de la démocratie par le droit, dans des États où la loi sert parfois à verrouiller l’espace politique plutôt qu’à l’ouvrir.

En clair, le cas d’Anicet-Georges Dologuélé, comme celui de Tidjane Thiam, interroge la crédibilité des processus électoraux africains, surtout dans cette Afrique francophone, épicentre de toutes sortes d’intrigues politiques. À force d’invoquer la légalité pour disqualifier des adversaires, les régimes en place fragilisent la légitimité même des élections qu’ils prétendent défendre.

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Serge Ouitona, historien, journaliste et spécialiste des questions socio-politiques et économiques en Afrique subsaharienne.
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