Trump assouplit les visas américains pour le Ghana en échange de l’accueil des migrants expulsés


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Trump Afrique Visa
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Coïncidence troublante ou contrepartie diplomatique ? Alors que le Ghana devient un hub de déportation pour l’administration Trump, Washington lève ses restrictions de visa contre Accra. Une analyse des nouveaux mécanismes de sous-traitance migratoire qui redéfinissent les relations entre les États-Unis et l’Afrique.

Une ironie saisissante se dessine dans les relations entre le Ghana et les États-Unis en cette fin septembre 2025. Alors que les États-Unis ont levé leurs restrictions de visa contre le Ghana, permettant à nouveau aux Ghanéens d’obtenir des visas de cinq ans à entrées multiples, cette décision intervient dans un contexte troublant : le Ghana est devenu un hub de déportation clé dans la répression migratoire du président Donald Trump.

Un deal qui ne dit pas son nom

Depuis le début du mois de septembre, au moins 14 ressortissants ouest-africains ont été expulsés des États-Unis vers le Ghana, certains ayant enduré le vol de 16 heures en « camisoles de force« . Ces hommes, originaires du Nigeria, du Mali, du Togo, du Liberia et de la Gambie, n’ont aucun lien avec le Ghana – ils y ont été envoyés dans le cadre de ce que l’administration Trump appelle des « déportations vers des pays tiers ».

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Le ministre ghanéen des Affaires étrangères, Samuel Okudzeto Ablakwa, a tenté de minimiser cette coopération controversée, affirmant que le Ghana acceptait les personnes expulsées vers un pays tiers « uniquement pour des raisons humanitaires » et qu’aucune compensation financière n’avait été reçue de la part des États-Unis. Pourtant, la levée quasi-simultanée des restrictions de visa semble indiquer une forme de contrepartie diplomatique.

Cette stratégie révèle la complexité géopolitique de la gestion migratoire moderne. Les États-Unis, confrontés à des restrictions judiciaires qui empêchent le renvoi direct de certains migrants vers leurs pays d’origine, contournent ces obstacles en utilisant des pays tiers comme le Ghana. Un juge fédéral a d’ailleurs accusé l’administration Trump de faire un « détour » autour des ordonnances judiciaires américaines interdisant l’expulsion de ces migrants.

Le paradoxe est frappant : certains de ces individus avaient obtenu une protection des tribunaux d’immigration américains contre leur déportation vers leurs pays d’origine, mais se retrouvent néanmoins expulsés via le Ghana, qui les renvoie ensuite chez eux. Au moins six ont déjà été renvoyés vers le Togo, selon leurs avocats.

Les enjeux diplomatiques cachés

Cette coopération migratoire s’inscrit dans un contexte plus large de tensions entre les États-Unis et l’Afrique. En juin 2025, l’administration Trump avait imposé des restrictions de visa drastiques pour le Cameroun, l’Éthiopie, le Ghana et le Nigeria, limitant leurs citoyens à des visas à entrée unique de trois mois au lieu des visas multi-entrées de deux ans ou plus accordés précédemment.

Pour le Ghana, ces restrictions étaient particulièrement pénalisantes. Le pays avait été placé sur la liste de surveillance du département d’État américain en raison d’un taux de dépassement de visa étudiant de 21%, dépassant la limite acceptable américaine de 15%. Cette mesure affectait non seulement les étudiants ghanéens aspirant à étudier aux États-Unis, mais aussi les entrepreneurs qui dépendaient de voyages réguliers pour leurs affaires.

Le Ghana rejoint ainsi le Rwanda, l’Eswatini et le Soudan du Sud dans cette nouvelle forme de sous-traitance migratoire. Au-delà des calculs géopolitiques, cette politique a des conséquences dramatiques pour les individus concernés. L’un des expulsés, un homme bisexuel renvoyé en Gambie où l’homosexualité est réprimée, craint pour sa sécurité voire pour sa vie. Les avocats de ces migrants dénoncent des conditions d’expulsion abusives, marquées par des détentions prolongées et un défaut d’information sur leur destination finale.

La levée des restrictions de visa ghanéennes, annoncée vendredi dernier, semble valider cette coopération controversée. Elle pourrait encourager d’autres pays africains à accepter des arrangements similaires, créant un précédent dangereux pour la gestion des flux migratoires mondiaux.

Idriss K. Sow Illustration d'après photo
Journaliste-essayiste mauritano-guinéen, il parcourt depuis une décennie les capitales et les villages d’Afrique pour chroniquer, en français, les réalités politiques, culturelles et sociales de l'Afrique
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