Tribune pour la fraternité : l’appel conjoint du recteur de la Grande Mosquée de Paris et du cardinal d’Alger


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Chems-eddine Hafiz, recteur de la Grande Mosquée de Paris, et le cardinal Jean-Paul Vesco, archevêque d'Alger
Chems-eddine Hafiz, recteur de la Grande Mosquée de Paris, et le cardinal Jean-Paul Vesco, archevêque d'Alger

Dans un contexte de tensions diplomatiques inédites entre la France et l’Algérie, deux figures religieuses de référence unissent leurs voix pour rappeler que la fraternité doit transcender les rivalités d’États. Chems-eddine Hafiz, recteur de la Grande Mosquée de Paris, et le cardinal Jean-Paul Vesco, archevêque d’Alger, ont publié une tribune dans Le Monde, appelant à préserver les liens humains entre les deux peuples malgré la crise diplomatique qui perdure depuis l’été 2024.

Cette initiative de Chems-eddine Hafiz, recteur de la Grande Mosquée de Paris, et le cardinal Jean-Paul Vesco, archevêque d’Alger, intervient alors que les relations diplomatiques entre la France et l’Algérie connaissent une dégradation sans précédent depuis l’indépendance. La crise, déclenchée par la reconnaissance par le changement de position d’Emmanuel Macron sur l’autonomie du Sahara occidental et par les positions de Bruno Retailleau, ministre de l’Intérieur, a réduit les contacts bilatéraux à de simples échanges protocolaires.

Pour les deux hommes d’Église, cette situation impose une responsabilité particulière aux leaders spirituels. « Nos peuples ne doivent pas être les victimes collatérales des crispations diplomatiques », écrivent-ils avec force, soulignant que ni les Algériens de France ni les Français d’Algérie ne doivent pâtir de ces tensions.

Deux parcours emblématiques

L’authenticité de cet appel puise sa force dans les parcours personnels de ses signataires. Chems-eddine Hafiz, 69 ans, avocat honoraire, dirige la Grande Mosquée de Paris depuis 2020. Né en Algérie, il incarne cette génération qui a su construire des ponts entre les deux rives de la Méditerranée tout en assumant pleinement sa double appartenance culturelle.

A ses côtés, Jean-Paul Vesco, 61 ans, dominicain et ancien archevêque d’Oran, a été créé cardinal par le pape François en 2024. Ce Français naturalisé algérien en février 2023 représente une figure unique du dialogue interreligieux, ayant consacré sa vie à l’Algérie depuis 2002, notamment après l’assassinat de Pierre Claverie en 1996.

La double appartenance comme force

Au cœur de leur message figure une conception révolutionnaire de l’identité. « Nous ne sommes ni moins français ni moins algériens, mais pleinement les deux », affirment-ils, défendant l’idée que l’identité n’est pas « un bloc fermé » mais comme une « réalité vivante ».

Cette vision s’oppose frontalement aux discours nationalistes comme celui de Bruno Retailleau, qui instrumentalisent l’appartenance pour diviser. Pour Hafiz et Vesco, leur double nationalité n’est pas une faiblesse mais un atout, une richesse qui permet de comprendre les deux sociétés de l’intérieur.

Dépasser le poids de l’histoire

La tribune aborde également la question mémorielle avec une lucidité remarquable. La dégradation des relations bilatérales franco-algériennes s’enracine dans des blessures mémorielles encore ouvertes. Les deux hommes n’éludent pas cette réalité mais proposent une voie de sortie inspirée de Nelson Mandela : « la réconciliation ne signifie pas oublier, mais ne pas en être prisonnier ».

Cette approche nuancée évite l’écueil du déni historique tout en refusant l’enfermement dans le ressentiment. Elle propose une voie médiane où la mémoire devient un instrument de compréhension mutuelle plutôt qu’un outil de division.

Au-delà de leurs différences confessionnelles, Hafiz et Vesco insistent sur la responsabilité commune des croyants face aux enjeux contemporains. « Être porteurs de paix n’est pas une option pieuse : c’est une responsabilité politique, spirituelle et humaine », déclarent-ils. Cette phrase résume l’essence de leur démarche : refuser la relégation de la religion au domaine privé pour en faire un acteur de transformation sociale. Dans un contexte où les tensions communautaires peuvent facilement s’exacerber, leur message invite à la désescalade et au dialogue.

Malgré la gravité de la crise, les deux hommes affirment vouloir continuer à « porter le pari de la fraternité » malgré les tensions diplomatiques. Leur conclusion, empreinte de réalisme et d’espérance, résonne comme un testament spirituel : « Il faudra patience et courage », mais « c’est le seul chemin digne de nos deux pays ».

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Ali Attar est un spécialiste reconnu de l'actualité du Maghreb. Ses analyses politiques, sa connaissance des réseaux, en font une référence de l'actualité de la région.
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