
La Sierra Leone est confrontée à une crise d’une rare noirceur. Après des disparitions inexpliquées et des corps retrouvés mutilés, le pays a mis au jour un réseau criminel glaçant : le trafic d’organes humains alimenté par des croyances occultes.
Révélée par une investigation choc de BBC Africa Eye, cette réalité mêle dérives de traditions ancestrales et criminalité moderne. Alors que l’enquête a provoqué une onde de choc, la société civile exige des réformes urgentes face à un système judiciaire mal équipé pour faire face à l’horreur.
Un phénomène ancré dans la perversion des traditions
Pour saisir l’ampleur du drame, il faut plonger au cœur des traditions sierra-léonaises. Les sociétés secrètes comme le Poro et le Sande ont historiquement régi l’organisation sociale et spirituelle. Parallèlement, la croyance dans le pouvoir des « médecines traditionnelles » (ou borfima) reste très forte. Traditionnellement fabriqués à partir de plantes et de minéraux, ces talismans sont censés conférer protection, prospérité ou pouvoir. Or, c’est cette croyance qu’une minorité criminelle a dévoyée. Des praticiens peu scrupuleux affirment désormais que les organes humains sont les ingrédients les plus puissants pour garantir le succès politique ou la richesse rapide. Ces allégations de meurtres à des fins rituelles tendent d’ailleurs à augmenter durant les périodes électorales, selon des historiens locaux.
Le chef Fasuluku Sonsiama III de Kono l’a d’ailleurs rappelé : ces actes représentent « une corruption totale de nos valeurs ancestrales qui ont toujours prôné le respect de la vie humaine. »
L’organigramme d’une horreur clandestine
L’enquête de BBC Africa Eye a mis en lumière un système bien structuré. Il ne s’agit pas d’actes isolés, mais d’un réseau complexe. On y trouve les commanditaires, souvent issus de l’élite politique ou économique, qui cherchent à acquérir du pouvoir. Viennent ensuite les intermédiaires, qui organisent les enlèvements et les transactions, et enfin les « praticiens« , ceux qui procèdent aux rituels et aux prélèvements.
Les victimes sont fréquemment des personnes vulnérables, enfants, albinos, ou personnes handicapées, considérées à tort comme détenant des propriétés mystiques particulières. Des corps ont été retrouvés dans les districts de Kono et Kenema, privés d’organes spécifiques tels que le cœur, le foie, les organes génitaux, la langue ou les yeux, des prélèvements qui correspondent aux prescriptions de certains rituels.
La collaboration entre tradition et forces de l’ordre
Face à la honte jetée sur leurs traditions, les guérisseurs traditionnels légitimes ont pris une position ferme. Ils collaborent désormais directement avec la police pour dénoncer les fraudeurs et les criminels qui alimentent ce commerce clandestin, cherchant à restaurer l’image et la dignité de leur profession.
Cette mobilisation s’inscrit dans un contexte où le gouvernement a déjà intensifié ses efforts. En 2023, le président Julius Maada Bio avait déclaré l’état d’urgence national contre les violences sexuelles et les crimes rituels, créant une unité spéciale de police dédiée à ces affaires complexes.
Problème juridique : l’absence d’infraction spécifique
L’obstacle majeur qui handicape la justice sierra-léonaise est confirmé par la Human Rights Commission of Sierra Leone : le meurtre rituel n’est pas codifié comme une infraction pénale spécifique. Un meurtre commis pour prélever des organes à des fins rituelles est actuellement enregistré comme un simple homicide volontaire, masquant la nature profonde et organisée du crime.
Cette lacune a de graves conséquences. D’abord, l’État ne peut pas isoler ni quantifier l’ampleur exacte des crimes rituels, ce qui mène potentiellement à une sous-estimation du problème. Ensuite, les jugements ne reflètent pas la nature particulièrement odieuse du crime. Les procureurs ont ainsi du mal à cibler la motivation occulte du meurtre, ce qui permet souvent aux commanditaires de rester impunis en n’étant pas liés directement à l’acte de meurtre.
Face à cela, la société civile exige une réforme législative urgente visant à créer une catégorie pénale de « Meurtre à des fins rituelles« . Cette mesure est considérée comme essentielle pour fournir aux enquêteurs et aux tribunaux les outils nécessaires pour nommer, juger et punir spécifiquement ces réseaux criminels.
Tant que persisteront la pauvreté extrême et le manque d’éducation, le terreau restera fertile pour ceux qui promettent richesse et pouvoir par des moyens occultes. La solution, comme le souligne l’imam Mohamed Salia de Freetown, devra être holistique : « Aucune religion, aucune tradition authentique ne peut justifier le meurtre d’innocents. Ceux qui commettent ces actes au nom de la tradition la trahissent.«




