
La Gambie franchit une nouvelle étape dans son long combat contre l’impunité héritée de l’ère Jammeh. Avec la remise par le Sénégal de l’ex-soldat Sanna Manjang, longtemps considéré comme l’un des fugitifs les plus recherchés du régime déchu, Banjul consolide une dynamique judiciaire inédite en Afrique de l’Ouest. Cette arrestation, qui s’inscrit dans une série d’opérations visant les anciens membres des « Junglers », confirme la détermination des autorités gambiennes à faire la lumière sur les crimes d’État et à rapprocher les victimes d’une vérité attendue depuis près d’une décennie.
Une coopération sécuritaire renforcée entre Dakar et Banjul
Les autorités sénégalaises ont officiellement transféré à la Gambie l’ex-militaire Sanna Manjang, l’un des membres les plus redoutés de l’escadron paramilitaire des « Junglers ». Son arrestation, survenue en Casamance après une opération conjointe entre Dakar et Banjul, met fin à huit années de cavale pour celui qui était recherché pour torture, disparitions forcées et exécutions extrajudiciaires.
Selon le ministère gambien de l’Information, l’arrestation de Manjang est le fruit d’une collaboration étroite entre les services de renseignement des deux pays. Ce partenariat s’est intensifié ces derniers mois, notamment après l’adoption par le Conseil des ministres sénégalais, le 23 novembre, d’un projet de loi approuvant la ratification d’une convention d’extradition bilatérale.
Un acteur clé des crimes commis sous le régime Jammeh
Le dispositif conjoint s’est accéléré lorsque le tribunal de première instance de Banjul a émis un mandat d’arrêt international en février dernier. Cette procédure avait été relancée à la suite d’une demande d’Interpol Washington invitant la Gambie à confirmer si Manjang figurait toujours sur la liste des criminels recherchés à l’échelle mondiale. Sanna Manjang est considéré comme l’un des agents les plus actifs des « Junglers », une unité d’élite tristement célèbre mise en place sous la dictature de Yahya Jammeh, au pouvoir de 1994 à 2017.
L’unité est soupçonnée d’avoir orchestré des assassinats ciblés, des enlèvements et des actes de torture au service du régime, réduisant au silence journalistes, opposants et militaires dissidents. La Commission Vérité, Réconciliation et Réparations (TRRC) avait cité Manjang à de nombreuses reprises dans ses conclusions, le décrivant comme l’un des principaux exécutants des exécutions extrajudiciaires et des disparitions forcées ordonnées par les plus hautes sphères du pouvoir.
La Gambie salue une étape décisive vers la justice
Pour les autorités gambiennes, la remise de Manjang par le Sénégal constitue « une avancée majeure » dans la quête de justice entamée depuis la chute du régime Jammeh. Le gouvernement de Banjul affirme que l’ancien Jungler sera poursuivi conformément aux lois gambiennes et rappelle son engagement à mettre fin à l’impunité. La coopération sénégalo-gambienne est également saluée comme un pilier essentiel pour faire aboutir les enquêtes visant les anciens agents du système répressif de Jammeh, dont plusieurs sont aujourd’hui disséminés en Afrique et en Europe.
Quelques mois avant l’arrestation de Manjang, la Gambie avait déjà frappé un grand coup en appréhendant l’ex-général Bora Colley, lui aussi membre présumé des « Junglers ». Colley s’était rendu à la police militaire en août 2024 après plusieurs années de fuite, notamment en Casamance puis en Guinée-Bissau. Cette arrestation avait marqué un tournant important dans les efforts de la Gambie pour poursuivre les responsables de violations massives des droits humains sous Yahya Jammeh.
Un passé de violences systématiques
Sous le régime Jammeh, l’unité paramilitaire fonctionnait comme un véritable bras armé clandestin, chargée d’exécuter les opposants et d’instaurer un climat de peur généralisée. Bora Colley est soupçonné d’avoir joué un rôle de premier plan dans plusieurs opérations meurtrières et d’avoir supervisé des missions destinées à éliminer toute dissidence politique. Son retour en Gambie demeure toutefois mystérieux, les autorités n’ayant pas encore révélé les circonstances exactes de son déplacement depuis la Guinée-Bissau.
Bai Lowe : première condamnation d’un ex-Jungler en Europe
En novembre 2023, un précédent historique avait été établi en Allemagne. Le tribunal de Celle avait condamné à perpétuité Bai Lowe, ancien chauffeur des « Junglers », pour crimes contre l’humanité, meurtres et tentatives de meurtre. Lowe avait notamment été impliqué dans l’assassinat du journaliste Deyda Hydara en 2004 ainsi que dans la tentative d’assassinat de l’avocat Ousman Sillah en 2003. Malgré des dénégations tardives, la justice allemande avait estimé les preuves accablantes, notamment son propre témoignage donné en exil.
Le verdict allemand avait été salué comme « un premier pas » par les familles de victimes et les organisations de défense des droits humains. Beaucoup espèrent désormais voir Yahya Jammeh lui-même, exilé en Guinée équatoriale, répondre de ses actes devant un tribunal. Plusieurs proches de l’ancien dictateur sont déjà dans le viseur de la justice internationale, parmi lesquels l’ex-ministre de l’Intérieur Ousman Sonko et l’ex-Jungler Michael San Correa. Depuis 2022, la Gambie s’efforce de mettre en œuvre les recommandations de la TRRC.





