
Avec son premier long-métrage « Timpi Tampa », la réalisatrice sénégalaise Adama Bineta Sow signe une comédie engagée qui dynamite les préjugés sur la beauté et dénonce avec humour l’industrie du blanchiment de la peau. Un film nécessaire à découvrir dans les salles françaises dès le 9 mai.
Khalilou, étudiant timide, voit sa mère tomber gravement malade à cause de crèmes dépigmentantes. Révolté, il enfile perruque et talons pour infiltrer le concours « Miss Étudiantes », vitrine d’une beauté blanchie. Sous l’alias Leïla, il sabote le jeu pour rendre leur éclat aux teints foncés. Cette ligne narrative, tirée d’un fait social réel – l’explosion du marché éclaircissant en Afrique de l’Ouest – est d’une limpidité redoutable : un plan‑séquence de justice poétique qui, dès la première minute, fait tomber les masques et les préjugés.
Le fléau du « Xessal » en chiffres
En Afrique de l’Ouest, le blanchiment de la peau – appelé « Xessal » au Sénégal – touche aujourd’hui près de 67% des femmes urbaines, selon une étude récente de l’Université Cheikh Anta Diop. Le marché des produits éclaircissants représente plus de 250 millions d’euros annuels dans la sous-région, malgré l’interdiction officielle des substances les plus dangereuses comme l’hydroquinone et les corticoïdes à forte dose.
Les complications médicales (diabète, hypertension, cancer de la peau) constituent désormais la troisième cause d’hospitalisation féminine à Dakar. C’est dans ce contexte sanitaire alarmant que s’inscrit la démarche militante de Timpi Tampa, donnant une dimension d’utilité publique à ce qui aurait pu n’être qu’une simple comédie.

À 29 ans, la réalisatrice signe un premier long métrage écrit, produit et tourné majoritairement au Sénégal, en wolof et en français. Sa mise en scène refuse l’exotisme de carte postale : caméra épaule nerveuse dans les dortoirs, panoramiques sensuels sur la peau sudorante des participantes, et un final filmé en plan fixe pour laisser le public suffoquer avec Khalilou. On pense au Spike Lee de School Daze, mais Sow troque la satire érudite pour une tendresse militante.
Casting 100 % local, jeu 200 % sincère
Pape Aly Diop – vu dans Bal Poussière – incarne Khalilou avec un mélange de gaucherie adolescente et de bravoure désarmante. Yacine Sow Dumon, égérie tik-tok devenue actrice, compose une antagoniste complexe : reine du blanchiment qui, sous les néons du spectacle, craint d’être invisible hors lumière. La chimie de ces deux‑là électrise la salle ; mention spéciale au doyen Nouroudine Diallo, dont le regard hanté raconte une génération sacrifiée à l’idéal colonial.
La grande force de Timpi Tampa est de faire rire sans jamais minimiser le drame. Les sketchs d’entraînement catwalk, où Khalilou apprend à déhancher ses hanches d’emprunt, déclenchent des éclats de rire contagieux… jusqu’au moment où le personnage retient ses larmes dans une cabine d’essayage éclairée aux UV. Sow joue sur ce contraste : lorsque le public rit, il se surprend aussitôt à culpabiliser, signe d’une conscience critique éveillée.
Un scénario didactique mais jamais professoral
La photo, signée Maïmouna Diop, exploite les ocres de Saint‑Louis et des néons mauves pour célébrer toutes les teintes de noir. Aucune scène n’est étalonnée pour blanchir la peau ; au contraire, les plans serrés sur les pores transpirants magnifient le grain naturel. Cette esthétique militante rappelle la campagne « Dark is Beautiful », mais la dépasse en offrant un manifeste visuel d’auto‑acceptation. Les textures sonores de kora et de trap locale rappellent que la lutte se joue aussi dans les oreilles.
Si certains ressorts – déguisement, concours truqué, révélation finale – suivent la mécanique classique de la comédie de situation, Timpi Tampa se distingue par son sens du détail sociologique : les micro‑agressions dans la cour de récré, la pression familiale, la publicité omniprésente de produits « light » dans les bus. Ce réalisme glané dans la rue confère au film une puissance documentaire indéniable.
Dans le sillage d’autres œuvres engagées
Timpi Tampa s’inscrit dans un mouvement plus large de films africains qui dénoncent les diktats de beauté post-coloniaux. On pense au récent documentaire ghanéen « Brown Skin » d’Akosua Adoma Owusu (2023), à la fiction nigériane « Skin Deep » de Genevieve Nnaji (2024), ou encore au moyen-métrage ivoirien « Belle comme la nuit » de Marie-Clémence Paes qui avait fait sensation l’an dernier. Mais là où ces œuvres privilégiaient une approche dramatique ou documentaire, Timpi Tampa innove en utilisant les armes de la comédie populaire pour toucher un public plus large.
Le choix du protagoniste masculin – rare dans cette thématique souvent associée aux problématiques féminines – élargit aussi la portée du message en impliquant tous les genres dans cette lutte pour l’acceptation de soi.
Un impact déjà palpable
Avant même sa sortie française le 9 mai 2025, le film a fait sensation au FESPACO, repartant avec le Prix de la Révélation et suscitant des débats « anti‑tampa » (anti‑blanchiment) sur les réseaux sociaux sénégalais. Les distributeurs Canal+ Afrique et Europacorp annoncent une sortie simultanée dans six pays, preuve qu’une voix locale peut rallier un public global.
Parce qu’il prouve qu’un long métrage militant peut être drôle, pop et populaire. Parce qu’il offre un héros masculin qui combat le patriarcat non pas par la violence mais par l’empathie. Parce qu’il nous rappelle, dans un monde obsédé par le filtre éclaircissant, que la peau foncée n’a pas besoin de lumière artificielle pour rayonner. Il serait dommage de le laisser filer comme un coup d’éclat éphémère ; à nous de prolonger l’onde de choc.
FICHE PRATIQUE :
- Réalisatrice : Adama Bineta Sow
- Avec : Pape Aly Diop, Yacine Sow Dumon, Nouroudine Diallo
- Durée : 105 minutes
- Langues : Wolof, français
- Sortie : 9 mai 2025 dans les salles françaises
- Distribution : Europacorp