Tensions diplomatiques entre Kinshasa et Kampala autour de la réouverture des frontières dans l’Est de la RDC


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Armée ougandaise
Armée ougandaise

Alors que l’Est de la République Démocratique du Congo (RDC) demeure en proie à une instabilité chronique, une décision de l’Ouganda ravive les tensions entre les deux pays voisins. La réouverture unilatérale de points frontaliers avec des zones sous contrôle rebelle a suscité une vive réaction de Kinshasa, qui dénonce une atteinte à sa souveraineté.

Le 10 juillet, l’Ouganda a rouvert plusieurs postes frontaliers avec la RDC, notamment ceux de Bunagana et Ishasha, situés dans des territoires actuellement contrôlés par les rebelles du M23. Cette décision a été ordonnée par le Président ougandais Yoweri Museveni, selon les déclarations de Chris Magezi, assistant militaire auprès du commandement des Forces de défense ougandaises (UPDF). Ces postes étaient fermés depuis janvier, après que les rebelles du M23 ont pris le contrôle de Goma, capitale provinciale du Nord-Kivu.

Une initiative ougandaise qui fait polémique

La reprise des échanges commerciaux dans ces zones suscite une vive inquiétude à Kinshasa, où les autorités redoutent un effet domino renforçant l’emprise du groupe armé par des revenus douaniers indirectement perçus. En effet, plusieurs analystes pointent le risque que les rebelles du M23 profitent de cette ouverture pour taxer les marchandises transitant vers la RDC, ce qui leur fournirait des ressources supplémentaires.

Face à cette situation jugée inacceptable, le gouvernement congolais a convoqué l’ambassadeur de l’Ouganda à Kinshasa, Farid Kaliisa. Ce dernier a été reçu par la ministre congolaise des Affaires étrangères, Thérèse Kayikwamba Wagner. Au cours de cette entrevue, Kinshasa a exprimé son désaccord total vis-à-vis de cette initiative, qualifiée de « préoccupante » dans un communiqué officiel. La ministre a saisi cette occasion pour réitérer l’engagement inébranlable de son pays en faveur de la préservation de sa souveraineté et de l’intégrité de son territoire.

Raisons de cette décision unilatérale de Kampala

Elle a souligné que toute action menée sans consultation avec les autorités congolaises, surtout dans des zones instables, constitue une violation du principe de respect mutuel entre États. Ce n’est pas la première fois que Kinshasa manifeste son mécontentement. Quelques jours avant la convocation de l’ambassadeur à Kinshasa, le général Evariste Kakule Somo, gouverneur militaire de la province du Nord-Kivu, avait déjà convoqué un représentant ougandais local. Ce diplomate, responsable du bureau de liaison ougandais dans la province, a dû répondre aux interrogations sur les raisons ayant motivé cette décision unilatérale de Kampala.

Selon les autorités provinciales, aucune concertation préalable n’a eu lieu avec la RDC, ce qui alimente les soupçons sur de possibles complicités régionales avec les rebelles du M23, déjà accusés par Kinshasa d’être soutenus, de manière directe ou indirecte, par certaines puissances étrangères de la région. Depuis sa résurgence en novembre 2021, le Mouvement du 23 mars (M23) a réussi à étendre son emprise sur une grande partie du Nord-Kivu.

Le M23, un acteur toujours plus présent dans l’Est

Sa progression, fulgurante, a conduit à la prise de localités stratégiques, dont le poste-frontière de Bunagana en juin 2022, puis la ville de Goma quelques mois plus tard. Le contrôle de ces zones permet au groupe armé non seulement d’imposer sa loi sur les populations locales, mais aussi d’avoir un levier économique important, en maîtrisant les flux commerciaux transfrontaliers. Dans ce contexte, la réouverture des frontières par l’Ouganda pourrait, selon plusieurs observateurs, consolider davantage leur position.

Le Nord-Kivu est une région économiquement cruciale pour l’Ouganda. Les échanges commerciaux entre les deux pays, bien que souvent informels, représentent une part importante des revenus pour les commerçants ougandais. Ainsi, la réouverture des postes frontaliers pourrait être perçue par Kampala comme une nécessité économique, notamment pour écouler ses produits vers l’Est congolais.

Un enjeu économique, mais à quel prix ?

Toutefois, ce geste, s’il n’est pas encadré par une coopération bilatérale et un respect mutuel des souverainetés, risque d’envenimer les relations déjà fragiles entre les deux États. Pour Kinshasa, l’économie ne doit pas primer sur la sécurité et l’unité nationale, particulièrement dans un contexte où des groupes armés continuent de menacer la stabilité de la région. La crise dans l’Est de la RDC s’inscrit dans un contexte régional plus large, marqué par des jeux d’influence complexes.

La présence de groupes rebelles transfrontaliers, les enjeux miniers et commerciaux, ainsi que les rivalités diplomatiques historiques entre pays voisins, compliquent toute tentative de résolution durable du conflit. Kinshasa multiplie les appels à la communauté internationale pour dénoncer ce qu’elle considère comme une atteinte à sa souveraineté. De son côté, l’Ouganda affirme vouloir favoriser la reprise des échanges, sans intention d’interférer dans les affaires internes congolaises.

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Très attaché à l’Afrique Centrale que je suis avec une grande attention. L’Afrique Australe ne me laisse pas indifférent et j’y fais d’ailleurs quelques incursions
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