
Le président algérien Abdelmadjid Tebboune a livré un message sans équivoque lors de son récent entretien avec la presse nationale. Dans un discours ferme qui signe la fin de l’ère du « gonflage de pneus« , le chef de l’État algérien redéfinit les contours d’une industrie automobile authentiquement nationale, quitte à sacrifier des partenariats historiques.
La critique est cinglante : « En sept ans de présence, l’usine de Renault n’a pas dépassé un taux d’intégration de 5%« , a révélé le communiqué du président Tebboune. Un constat qui résonne comme un camouflet pour le constructeur français, autrefois en position dominante sur le marché algérien avec 25% des ventes.
L’usine de Oued Tlelat, près d’Oran, qui assemblait la Clio, la Symbol et la Dacia Stepway, est fermée depuis 2020 après la suppression du dispositif fiscal favorisant l’importation des kits SKD. Depuis, Renault a multiplié les demandes d’agrément, systématiquement rejetées par les autorités algériennes, la dernière remontant à mars 2025.
La condition posée par Tebboune est limpide : « Si Renault augmente le taux d’intégration, son usine va rouvrir« . Cependant, face aux rejets successifs de ses demandes d’agrément et aux exigences algériennes d’atteindre a minima 40% d’intégration locale, le constructeur français se trouve dans une impasse. Selon des sources proches du dossier, Renault pourrait prendre la « décision cruciale » de quitter définitivement le marché algérien dès la fin du premier semestre 2025, plutôt que de se plier aux nouvelles contraintes imposées par Alger.
La révolution du 40% : une nouvelle donne industrielle
Au cœur de cette transformation se trouve un objectif ambitieux : atteindre un taux d’intégration locale de 40% minimum. Cette exigence, que Tebboune qualifie de non négociable, vise à « encourager la mise en place d’un réseau national de sous-traitance et à stimuler l’écosystème industriel local, dans le but de créer de l’emploi et de réduire la dépendance aux importations« .
Le président algérien ne cache pas son mépris pour les pratiques passées : « le temps du gonflage de pneus est révolu« , fustigeant ainsi « les opérations d’importation de véhicules neufs qui servaient autrefois de couverture à des pratiques frauduleuses« .
Cette nouvelle approche s’appuie sur une vision claire de l’impact économique. L’objectif est bien que les sociétés étrangères apportent une plus value technologique en Algérie.
Stellantis joue le jeu, d’autres suivent

Contrairement à Renault, la marque Fiat du groupe Stellantis a accepté « l’intégration ». Le groupe dirigé par Carlos Tavares se serait engagé à atteindre un taux de 35% d’intégration,. L’usine Fiat d’Oran utilise déjà certains composants produits localement comme les pneus Iris Tyres, les faisceaux électriques et les vitres.
Tebboune a annoncé que « de grandes marques mondiales vont entrer sur le marché avec un important taux d’intégration« . Six groupes mondiaux spécialisés dans l’automobile ont visité l’Algérie depuis janvier 2023, et plus de 36 opérateurs ont déposé des demandes d’investissement. Parmi eux, Chery, Hyundai, Geely, Volkswagen et Great Wall Motors figurent en bonne place.
Une stratégie de souveraineté économique
Cette politique s’inscrit dans une démarche plus large de souveraineté économique. Le ministère de l’Industrie a lancé « une campagne nationale de mobilisation des talents algériens à l’intérieur du pays comme à l’étranger » pour « mettre en place un Conseil national d’expertise dans le domaine de la construction automobile et de la fabrication de pièces de rechange« .
L’objectif affiché est de « capter les compétences acquises à l’étranger pour accélérer le transfert de technologies, renforcer les capacités locales et combler les manques dans certaines spécialités industrielles ».
Les ambitions sont considérables : alors que le marché local représente une demande annuelle estimée à 350 000 véhicules, l’Algérie ambitionne de produire à moyen terme 3 millions de véhicules par an, et jusqu’à 5 millions à long terme.
Au-delà de l’automobile : un nouveau modèle économique
Les déclarations de Tebboune dépassent le seul secteur automobile. Le président estime qu’il ne faut pas confondre « rapidité » et « précipitation » dans ce domaine, soulignant que la voiture « c’est une priorité, mais elle n’est pas absolue« .
Cette approche méthodique s’accompagne d’exigences strictes : « Celui qui ne dispose pas de réseau de service après-vente à travers le pays n’aura pas d’agrément« , précise-t-il, montrant que les autorités algériennes entendent contrôler toute la chaîne de valeur.
Vers une industrie automobile souveraine
En durcissant les conditions d’accès au marché, l’Algérie prend le pari de pouvoir attirer suffisamment d’investisseurs prêts à accepter ses conditions. La hausse des coûts de production en Europe et la fermeture de plusieurs usines sur le continent ont poussé les constructeurs à rechercher des environnements plus stables et compétitifs, ce qui pourrait jouer en faveur d’Alger.
Cependant, l’exemple de Renault illustre les difficultés de cette transition. Le constructeur français, malgré son engagement à investir 15 milliards de dinars dans son usine de Oued Tlelat annoncé en mai 2024, peine toujours à convaincre les autorités algériennes.
Les déclarations de Tebboune marquent une rupture claire avec les pratiques passées. « Je veux une voiture algérienne, tout autre modèle n’est pas acceptable« , résume-t-il sa vision. Cette ambition pourrait faire de l’Algérie un acteur majeur de l’industrie automobile régionale, mais au prix d’une transformation profonde des partenariats économiques établis par les constructeurs internationaux.
Une révolution industrielle qui redéfinit les règles du jeu au Maghreb.