
Alors que le prix Nobel de la paix doit incarner le summum de la réconciliation et du dialogue entre les peuples, il est chaque année parasité par des candidatures improbables. De Donald Trump à Teodoro Obiang en passant par Boualem Sansal, la liste des prétendants montre combien la prestigieuse distinction est devenue l’objet de récupérations politiques et idéologiques.
Chaque année, des centaines de candidatures sont déposées, certaines sérieuses, d’autres presque caricaturales. Le président américain Donald Trump, qui a attisé des tensions diplomatiques et sociales au cours de son mandat, a plusieurs fois été proposé
En Afrique, le contraste entre réalité et prétention atteint parfois des sommets. Le président équato-guinéen Teodoro Obiang Nguema Mbasogo, à la tête d’un régime autoritaire et corrompu depuis plus de quarante cinq ans, n’a pas hésité à se présenter en homme de paix. Cette candidature, aussi cynique soit-elle, n’est pas un cas isolé sur le continent. Elle s’inscrit dans une longue tradition de dirigeants autoritaires africains cherchant à blanchir leur image internationale par des distinctions prestigieuses.
Quand les autocrates africains se rêvent en artisans de paix
Le cas d’Obiang est cependant particulièrement symptomatique. Arrivé au pouvoir en 1979 par un coup d’État sanglant contre son propre oncle, il a bâti l’un des régimes les plus répressifs d’Afrique. La Guinée équatoriale, malgré ses richesses pétrolières, reste l’un des pays les plus inégalitaires du monde, où la corruption atteint des niveaux vertigineux et où les droits humains sont systématiquement bafoués. Les organisations internationales documentent régulièrement les arrestations arbitraires, la torture et la censure qui caractérisent son régime. Pourtant, comme d’autres dirigeants africains avant lui, Obiang cherche à instrumentaliser les institutions internationales pour se draper d’une légitimité qu’il ne possède pas auprès de son peuple.
Cette stratégie de façade n’est pas nouvelle en Afrique. D’autres présidents à la longévité suspecte ont tenté des manœuvres similaires, utilisant la diplomatie internationale comme vitrine pour masquer des pratiques intérieures autoritaires. La candidature au Nobel devient alors un outil de propagande, une tentative de réécriture de l’histoire à destination de l’opinion internationale, pendant que les populations locales continuent de subir répression et pauvreté.
Certains écrivains ou intellectuels, comme Boualem Sansal, ont également été propulsés par des réseaux militants bien davantage pour leur posture idéologique que pour une œuvre concrète en faveur de la paix mondiale. Si Sansal a bien publié une oeuvre littéraire, sa candidature soulève des questions sur les critères d’attribution dans un contexte africain où d’autres voix, moins médiatisées en Occident, mènent des combats pour la paix et la réconciliation sans bénéficier du même écho.
Un prix déjà terni par des choix polémiques africains
Le Nobel de la paix n’a jamais été totalement à l’abri de la controverse, et l’Afrique en offre plusieurs illustrations troublantes. En 1973, Henry Kissinger recevait la distinction pour les accords de paix au Vietnam, alors même que la guerre se poursuivait. Vingt ans plus tard, Yasser Arafat, Shimon Peres et Yitzhak Rabin étaient couronnés pour les accords d’Oslo, rapidement réduits à néant.
Plus récemment, en 2019, le Premier ministre éthiopien Abiy Ahmed a été honoré pour avoir signé la paix avec l’Érythrée, avant de plonger son pays dans la guerre civile du Tigré. Ce cas illustre parfaitement les limites d’un prix parfois décerné trop hâtivement. Couronné pour avoir mis fin à deux décennies de conflit avec l’Érythrée, Abiy Ahmed s’est rapidement révélé être un dirigeant autoritaire. Moins de deux ans après avoir reçu le Nobel, il lançait une offensive militaire dévastatrice contre la région du Tigré, provoquant une catastrophe humanitaire majeure : massacres de civils, viols systématiques utilisés comme arme de guerre, famine délibérément provoquée et destructions massives. Des dizaines de milliers de morts et des centaines de milliers de personnes déplacées plus tard, la récompense décernée à Abiy Ahmed reste comme une tache indélébile sur la crédibilité du comité Nobel.
Ce précédent éthiopien devrait servir d’avertissement. Il montre comment un Prix Nobel peut être instrumentalisé par un dirigeant pour consolider son pouvoir avant de révéler son vrai visage. Il démontre aussi les dangers d’une attribution fondée sur des espoirs et des promesses plutôt que sur des réalisations durables et vérifiables.
L’Afrique, terrain de chasse pour les candidatures opportunistes
D’autres attributions africaines ont également suscité le débat. Si Nelson Mandela et Desmond Tutu restent des lauréats incontestables, ayant œuvré concrètement pour la réconciliation en Afrique du Sud, d’autres choix ont été plus ambigus. Le comité Nobel semble parfois céder à une forme de pression géopolitique ou médiatique, privilégiant l’impact symbolique au détriment d’une évaluation rigoureuse des actions réelles en faveur de la paix.
Le continent africain, avec ses nombreux conflits non résolus et ses régimes autoritaires en quête de légitimité, est devenu un terrain particulièrement fertile pour les candidatures fantaisistes au Nobel de la paix. Plusieurs facteurs expliquent ce phénomène.
D’abord, la structure même du processus de nomination permet à n’importe quel parlementaire, ancien lauréat ou universitaire de proposer un candidat. Cette ouverture, pensée pour garantir la diversité des propositions, ouvre la porte à des nominations purement politiques ou idéologiques. Des réseaux d’influence, souvent liés à des intérêts économiques ou diplomatiques, n’hésitent pas à mobiliser leurs contacts pour faire avancer des candidatures servant leurs agendas.
Le Nobel représente le Graal
Ensuite, pour certains dirigeants africains vieillissants, le Nobel représente le Graal ultime : la consécration internationale qui pourrait faire oublier des décennies de mauvaise gouvernance. Un prix Nobel offrirait une immunité symbolique, une forme de rédemption qui permettrait de négocier en position de force une transition ou même de légitimer une succession dynastique. C’est cette tentation qui pousse des figures comme Obiang à se présenter en homme de paix, malgré l’évidence contraire.
Par ailleurs, le paysage médiatique et diplomatique africain facilite ces impostures. Certains dirigeants autoritaires ont construit de véritables écosystèmes de propagande, utilisant des médias contrôlés, des think tanks complaisants et des relais diplomatiques pour fabriquer une image internationale déconnectée de la réalité vécue par leurs populations. Ils exploitent également la méconnaissance relative du continent par les institutions européennes, jouant sur les clichés et les simplifications pour se présenter comme des facteurs de stabilité dans des régions présentées comme naturellement chaotiques.
Les véritables artisans de paix africains dans l’ombre
Pendant que des autocrates briguent le Nobel, de véritables artisans de paix œuvrent dans l’anonymat sur le continent africain. Des médiateurs locaux, des défenseurs des droits humains, des organisations de femmes et de jeunesse travaillent quotidiennement à la résolution de conflits, à la réconciliation intercommunautaire et à la consolidation démocratique, souvent au péril de leur vie et sans reconnaissance internationale.
En République démocratique du Congo, au Mali, au Cameroun anglophone ou en Somalie, des acteurs de la société civile mènent des initiatives de dialogue et de médiation qui ont permis d’éviter des massacres ou de ramener la paix dans des communautés déchirées. Ces figures mériteraient infiniment plus la reconnaissance du comité Nobel que des dirigeants en quête de blanchiment d’image.
Le paradoxe est cruel : ceux qui font réellement avancer la cause de la paix en Afrique restent largement invisibles aux yeux du comité Nobel, tandis que ceux qui la piétinent tentent de s’en parer. Cette distorsion révèle peut-être un problème plus profond : la tendance du comité à privilégier les figures politiques de premier plan, facilement identifiables et médiatisables, au détriment d’un travail de fond moins spectaculaire mais infiniment plus authentique.
Un comité Nobel appelé à plus de vigilance
Face à cette inflation et à ces dérives, le comité Nobel est plus que jamais sommé de trier avec rigueur, particulièrement concernant les candidatures africaines. Le prix n’est pas une médaille d’honneur pour carrières controversées, ni une vitrine de communication pour dirigeants en quête de légitimité internationale. Il doit rester une distinction rare, attribuée à celles et ceux qui œuvrent réellement à réconcilier les nations, à protéger les droits humains et à bâtir un monde plus juste.
Car si le Nobel devient un terrain de jeu pour candidatures fantaisistes, s’il continue d’honorer des dirigeants qui trahiront ensuite ses valeurs, il risque de perdre ce qui fait sa force : être le symbole universel d’une paix chèrement acquise, et non la récompense d’un ego surdimensionné ou d’un régime en quête de respectabilité. L’Afrique, plus que tout autre continent, mérite que ses véritables bâtisseurs de paix soient reconnus, et que ses faux prophètes soient démasqués.
Voici la liste des Africains ayant reçu le Prix Nobel de la Paix :
- Albert Luthuli (Afrique du Sud) – 1960 Pour sa lutte non-violente contre l’apartheid
- Desmond Tutu (Afrique du Sud) – 1984 Pour son rôle dans la lutte contre l’apartheid
- Nelson Mandela (Afrique du Sud) – 1993 Partagé avec F.W. de Klerk pour leur travail visant à démanteler pacifiquement l’apartheid
- F.W. de Klerk (Afrique du Sud) – 1993 Partagé avec Nelson Mandela
- Kofi Annan (Ghana) – 2001 Pour son travail en faveur d’un monde mieux organisé et plus pacifique en tant que Secrétaire général de l’ONU
- Wangari Maathai (Kenya) – 2004 Pour sa contribution au développement durable, à la démocratie et à la paix
- Mohamed ElBaradei (Égypte) – 2005 Pour ses efforts visant à empêcher l’utilisation militaire de l’énergie nucléaire
- Leymah Gbowee (Liberia) – 2011 Partagé avec Ellen Johnson Sirleaf et Tawakkol Karman pour leur lutte non-violente pour les droits des femmes
- Ellen Johnson Sirleaf (Liberia) – 2011 Première femme élue présidente en Afrique
- Denis Mukwege (République démocratique du Congo) – 2018
Pour ses efforts visant à mettre fin à l’utilisation de la violence sexuelle comme arme de guerre - Abiy Ahmed (Éthiopie) – 2019 Pour ses efforts de paix, notamment pour avoir résolu le conflit frontalier avec l’Érythrée