
Alors que le Sénégal traverse une période de rigueur budgétaire, marquée par un endettement massif et un déficit préoccupant, le gouvernement a adopté un ambitieux Plan de redressement économique et social pour la période 2025-2028. Parmi les mesures phares figure une nouvelle taxe sur l’argent mobile. Présentée comme nécessaire pour rééquilibrer les finances publiques, cette réforme suscite néanmoins des inquiétudes dans une société où le Mobile Money est devenu un pilier incontournable du quotidien. À Dakar comme dans les régions, les avis sont partagés entre compréhension du contexte économique et crainte d’un impact social sévère.
Le 30 juillet 2025, le gouvernement sénégalais a dévoilé un Plan de redressement économique et social censé remettre à flot des finances publiques lourdement grevées par une décennie de dettes et déficits. Parmi les leviers activés, une taxe sur les transactions d’argent mobile, un outil pourtant devenu central dans la vie économique et sociale des Sénégalais. À Dakar, Thiès, Saint-Louis ou encore Ziguinchor, cette décision divise : six voix citoyennes, aux profils variés, témoignent de leurs espoirs, leurs doutes et leurs colères face à cette mesure.
Fatou Ndoye, vendeuse de légumes à Pikine
« Ce sont les pauvres qui vont encore payer »
« Moi, je fais au moins cinq transactions par jour avec Orange Money ou Wave : pour payer mes fournisseurs, envoyer de l’argent à mon frère à Kaolack, ou recevoir les paiements de mes clientes. Si on commence à taxer chaque opération, ça va vraiment nous pénaliser. On n’a pas de comptes bancaires, on fonctionne comme ça. Ce sont les pauvres qui vont encore payer pour des erreurs qu’ils n’ont pas commises. Je comprends que l’État ait besoin d’argent, mais il faut chercher ailleurs ».
Abdoulaye Diop, cadre financier à Dakar Plateau
« Une fiscalité est nécessaire, mais pas à n’importe quel prix »
« L’État est obligé de trouver des ressources nouvelles, c’est une évidence. Mais cette taxe sur le Mobile Money est une arme à double tranchant. Si elle n’est pas bien calibrée, elle risque de décourager les usagers et de freiner la digitalisation financière. Ce qu’il faut, c’est une fiscalité intelligente, progressive, qui ne touche pas les petits montants ou qui offre des exemptions pour certaines catégories. Autrement, on court à l’échec ».
Aissatou Sarr, étudiante à Saint-Louis
« C’est mon seul moyen d’avoir de l’argent »
« Mes parents sont à Matam. Chaque mois, ils m’envoient de l’argent par Orange Money. Moi aussi, quand j’ai un petit boulot, je les aide en retour. Franchement, je ne vois pas pourquoi l’État viendrait prélever quelque chose sur ces transferts familiaux. Ce n’est pas du commerce, ce n’est pas du luxe. C’est de la survie. S’ils veulent taxer, qu’ils commencent par ceux qui roulent en 4×4, pas ceux qui envoient 10 000 ou 15 000 francs CFA pour manger ».
Mamadou Fall, entrepreneur numérique à Thiès :
« Un frein à l’innovation locale »
« Je dirige une petite startup dans les services financiers. Nous avons misé sur le Mobile Money parce qu’il est plus accessible et plus rapide que les banques traditionnelles. Avec cette nouvelle taxe, beaucoup de nos utilisateurs vont fuir, préférer le cash ou simplement abandonner. Ça veut dire moins de clients, moins d’investissements, et moins de croissance pour le secteur tech. C’est une très mauvaise nouvelle pour l’écosystème ».
Mariama Diallo, responsable d’une tontine à Kolda
« On va revenir à la caisse noire sous le lit »
« Depuis qu’on a adopté Wave et Orange Money dans notre tontine, tout est plus simple et plus transparent. On fait les dépôts, les retraits et les paiements directement via nos portables. Mais si on doit maintenant perdre de l’argent à chaque opération, ça ne vaut plus le coup. On va revenir à l’ancienne méthode : garder l’argent dans une caisse sous le lit ou dans un sac. C’est risqué, mais au moins on ne paie pas pour utiliser notre propre argent ».
Cheikh Bâ, économiste à Ziguinchor
« Une bonne idée, mais mal vendue »
« Le fond du problème, ce n’est pas tant la taxe que la manière dont elle est introduite. Il n’y a pas eu assez de pédagogie. On aurait pu consulter les acteurs, prévoir des seuils de non-imposition, ou expliquer clairement où ira l’argent récolté. Si c’est pour financer des écoles, des hôpitaux ou la transition énergétique, les gens comprendraient mieux. Mais dans ce climat de méfiance, toute nouvelle taxe est perçue comme une sanction de la part des nouvelles autorités du Sénégal ».