Sénégal : le Premier ministre super-renforcé, signe d’un nouvel équilibre ?


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Bassirou Diomaye Faye et Ousmane Sonko
Bassirou Diomaye Faye et Ousmane Sonko

Le président Diomaye Faye a signé un décret renforçant considérablement la Primature. Cela fait d’Ousmane Sonko un « Premier ministre super fort » au cœur du pilotage gouvernemental. Mais cette réforme, saluée comme une modernisation administrative, ravive les interrogations sur l’équilibre réel du pouvoir au sein d’un exécutif traversé par des tensions.

Le Président Bassirou Diomaye Faye a signé un décret majeur qui redéfinit l’architecture de la Primature au Sénégal. Diffusé le jeudi 4 décembre 2025, ce texte concrétise la volonté du chef de l’État d’avoir un « Premier ministre super fort » et d’instaurer un exécutif plus déconcentré. Si le gouvernement met en avant la recherche de performance et de modernisation administrative, cette réforme intervient dans un contexte de rumeurs de tensions au sein du tandem exécutif. Cela suscite un vif débat sur l’étendue réelle du pouvoir conféré à Ousmane Sonko.

Un cadre de gouvernance réaligné sur la volonté présidentielle

La formule lancée par Bassirou Diomaye Faye le 4 avril 2025, « Je veux des DG forts, des ministres forts, un Premier ministre super fort », trouve désormais une traduction institutionnelle. Le décret, contresigné par le Premier ministre Ousmane Sonko, vise à aligner la Primature sur les ambitions d’un « Sénégal souverain, juste et prospère » et à corriger les limites d’une architecture jugée trop centralisée et fragile.

L’objectif affiché est de faire de la Primature non plus un simple organe de coordination, mais un véritable centre stratégique. Le nouveau dispositif est conçu pour clarifier les responsabilités, fluidifier les circuits décisionnels et renforcer la fonction de pilotage de l’action gouvernementale.

Des outils et structures au service de la performance

Pour soutenir cette ambition, la Primature voit ses équipes étoffées et son organisation professionnalisée. Des postes clés sont créés, comme celui de Directeur de Cabinet adjoint, destiné à accélérer le traitement des dossiers prioritaires. La fonction de porte-parole du Gouvernement est confiée à un Secrétaire d’État directement rattaché à la Primature, assurant plus de lisibilité dans la communication institutionnelle.

La réforme introduit également trois super-structures pensées pour garantir la cohérence et la transparence :

  • L’Inspection des Services de la Primature : axée sur le contrôle interne, l’audit administratif et financier, et le suivi des directives.
  • La Cellule d’Orientation et de Suivi des Réformes : une tour de contrôle technique pour garantir la cohérence interministérielle et l’évaluation des réformes.
  • La Cellule de Préparation du Conseil des ministres : chargée de professionnaliser la chaîne gouvernementale en harmonisant les dossiers et garantissant la qualité des textes soumis au Président.

Parallèlement, le Secrétariat général du Gouvernement (SGG) voit ses prérogatives élargies, devenant la colonne vertébrale juridique responsable de la planification législative, du contrôle de conformité des actes réglementaires et de la sécurisation juridique des décisions.

Une réforme sous le prisme des relations exécutives

Cette réorganisation, présentée comme une rupture avec le présidentialisme concentré, consacre un modèle fondé sur un partage accru des responsabilités. Le Premier ministre Ousmane Sonko peut désormais exercer pleinement son rôle de chef du Gouvernement.
Toutefois, la portée de ce décret est diversement interprétée au Sénégal, d’autant qu’il intervient dans un contexte de « froid installé » entre les deux têtes de l’exécutif depuis un différend sur la direction de la coalition majoritaire.

Si les militants du Pastef y voient une victoire pour leur chef, Ousmane Sonko, et un gain notable en marge de manœuvre, des sources universitaires invitent à la prudence. Selon des chercheurs en sciences politiques, il pourrait s’agir avant tout d’une réorganisation administrative offrant plus de moyens, mais n’élargissant « en rien les pouvoirs de la primature » au-delà des prérogatives constitutionnelles du Président. Pour certains, ce geste du Président Faye est un « pas pour décrisper la situation », montrant sa volonté de continuer à travailler avec Sonko sans pour autant céder un « iota de ses prérogatives constitutionnelles ».

Maceo Ouitona
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Maceo Ouitona est journaliste et chargé de communication, passionné des enjeux politiques, économiques et culturels en Afrique. Il propose sur Afrik des analyses pointues et des articles approfondis mêlant rigueur journalistique et expertise digitale
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