
Entre incertitudes économiques et déséquilibres budgétaires persistants au Sénégal, les signaux d’alerte se multiplient. Un récent audit a mis en lumière une explosion inattendue de la dette publique, forçant les agences internationales à revoir leur appréciation. Dans ce contexte tendu, les autorités font face à des choix difficiles pour éviter un décrochage financier. À l’approche d’échéances clés, le pays est sous pression pour restaurer sa crédibilité et rassurer ses partenaires économiques.
L’agence de notation américaine Standard & Poor’s (S&P) a abaissé la note souveraine du Sénégal à B-, assortie d’une perspective négative. C’est la deuxième dégradation consécutive en quelques mois, et surtout la plus sévère depuis que le pays a été noté pour la première fois en 2000. Ce nouveau classement reflète les profondes inquiétudes des marchés face à la détérioration de la situation budgétaire sénégalaise.
Une dette explosive et des besoins de financement colossaux
L’élément déclencheur ? Un audit mené par le cabinet Mazars, rendu public, qui révèle une sous-estimation de la dette publique du pays à hauteur de 13 milliards de dollars. Cette révision porte la dette totale du Sénégal à 118% de son produit intérieur brut (PIB) pour l’année 2024, un chiffre extrêmement élevé pour une économie émergente de sa catégorie.
La nouvelle évaluation de la dette place le Sénégal en tête des pays les plus endettés de sa catégorie. Elle met également en évidence un déficit budgétaire élevé, combiné à d’importants arriérés de paiement. Résultat : les besoins de financement du pays s’envolent et pourraient dépasser 25% du PIB dès cette année, selon les estimations de S&P. Une situation jugée inquiétante par les investisseurs, d’autant que cette tendance ne semble pas près de s’inverser.
Des finances publiques plus vulnérables que jamais
À l’horizon 2026, ces besoins devraient rester élevés, voire augmenter, si aucune mesure corrective forte n’est prise. « Ces prévisions sont basées sur les informations actuelles », précise l’agence de notation, tout en soulignant le risque de dérapage budgétaire si les conditions économiques se détériorent davantage. Au-delà des chiffres, c’est la fragilité structurelle des finances publiques sénégalaises qui préoccupe les analystes. Selon S&P, le pays devient de plus en plus sensible aux chocs économiques et financiers, en raison d’un rétrécissement de ses marges de manœuvre budgétaires.
Autrement dit, en cas de crise ou de ralentissement économique, le Sénégal aurait peu de leviers à sa disposition pour amortir le choc. Dans ce contexte, le service de la dette devient un poids de plus en plus lourd à supporter. Le pays est contraint de recourir davantage aux marchés extérieurs pour financer ses engagements, ce qui accroît le risque de dépendance financière et complique la gestion souveraine.
Des conséquences sur les négociations avec le FMI et les bailleurs
La dégradation de la note sénégalaise pourrait avoir des effets en cascade. En particulier, elle risque de rendre plus compliquées les négociations en cours avec le Fonds monétaire international (FMI), avec qui le Sénégal espère conclure un nouveau programme d’appui. Les bailleurs multilatéraux pourraient aussi revoir leurs engagements à la baisse, tandis que les prêts commerciaux deviendront plus coûteux, voire plus difficiles à obtenir.
Cette situation pourrait freiner la mise en œuvre de projets structurants, notamment dans les domaines des infrastructures, de l’énergie ou de l’éducation. En somme, une spirale dangereuse, où la dégradation de la note accentue les difficultés d’accès au financement, ce qui aggrave encore les déséquilibres budgétaires.
Une tendance continentale inquiétante
Le Sénégal n’est pas un cas isolé. Ces dernières années, plusieurs pays africains ont vu leurs notes souveraines dégradées en raison de niveaux d’endettement jugés insoutenables. Le Ghana, par exemple, a connu une série de baisses successives de sa note jusqu’à atteindre un défaut de paiement en 2022. Ce qui l’a forcé à négocier un plan de restructuration de sa dette avec le FMI. La Zambie a également fait défaut en 2020, devenant le premier pays africain à ne pas honorer sa dette souveraine depuis le début de la pandémie de Covid-19.
Plus récemment, l’Éthiopie et le Kenya ont eux aussi vu leurs notations abaissées par les grandes agences de notation, en raison de leur exposition élevée à la dette extérieure et de déficits budgétaires persistants. Une tendance régionale préoccupante avec un endettement rapide, souvent lié à des projets d’infrastructure ambitieux, mais mal calibrés par rapport à la capacité de remboursement des États. La hausse des taux d’intérêt mondiaux et la baisse des revenus liés aux matières premières ont aggravé la situation, mettant à mal les équilibres budgétaires de nombreux pays africains.
Une échéance capitale en novembre
Standard & Poor’s prévoit de réévaluer la note du Sénégal le 16 novembre 2025. Cette échéance constitue une opportunité pour les autorités de montrer des signes concrets d’assainissement budgétaire. D’ici là, les marges de manœuvre sont étroites, mais une action rapide et ciblée pourrait permettre d’éviter une nouvelle dégradation et, surtout, préserver la crédibilité financière du pays sur les marchés internationaux.