Ouakam rend ses clés : la fin d’une époque pour la présence militaire française au Sénégal


Lecture 5 min.
L'armée française
L'armée française

Le 18 juillet 2025, la France rendra officiellement au Sénégal la base militaire de Ouakam, marquant la clôture d’un long chapitre de coopération sécuritaire postcoloniale. Un retrait voulu par le président Bassirou Diomaye Faye, dans une dynamique de réaffirmation souverainiste.

Installée depuis les premières années suivant l’indépendance, la présence militaire française au Sénégal a longtemps symbolisé un lien sécuritaire fort entre Paris et Dakar. Mais après plus de six décennies de coopération active et de cohabitation stratégique, la dernière emprise française, située à Ouakam, s’apprête à être remise au gouvernement sénégalais.

Un démantèlement organisé et maîtrisé

Cette restitution s’inscrit dans le cadre d’un désengagement militaire progressif décidé en 2022 par les autorités françaises, à l’initiative du Président Emmanuel Macron, et acté par son homologue sénégalais élu en 2024. Le retrait des Éléments français au Sénégal (EFS) sera officiellement achevé à la fin de l’été 2025. Le retrait s’est opéré par étapes : dès mars 2025, plusieurs emprises ont été cédées, dont les quartiers militaires Maréchal, Saint-Exupéry et le site Contre-Amiral Protêt. Le 1er juillet, la station interarmées de Rufisque, utilisée pour les communications militaires depuis 1960, a été remise aux autorités sénégalaises.

Ces transferts ont été supervisés par une commission mixte franco-sénégalaise, mise en place pour encadrer la transition logistique et administrative. Deux infrastructures restent à restituer après Ouakam : l’escale de l’aéroport militaire et un site rattaché au programme Recamp, situé près du parc de Hann. Ce retrait ne signifie pas la fin des liens militaires entre les deux pays. La France et le Sénégal s’orientent désormais vers un partenariat basé sur la formation, le transfert de compétences et l’interopérabilité des forces armées.

Vers un nouveau modèle de coopération

Le mot d’ordre : plus d’autonomie pour les pays africains, moins de présence directe étrangère. L’ambassadrice de France à Dakar, Christine Fages, a confirmé cette orientation en évoquant une coopération « rééquilibrée, franche et assumée ». Ce changement de cap vise à répondre aux aspirations d’indépendance stratégique de plus en plus exprimées sur le continent. Le Président Bassirou Diomaye Faye, élu en 2024 sur un programme résolument panafricaniste, a rapidement donné le ton : aucune base étrangère ne restera sur le sol sénégalais.

Lire aussi : Retrait militaire français du Sénégal : les employés locaux licenciés le 1er juillet 2025

Dès sa prise de fonctions, il a demandé à son gouvernement de revoir les accords de défense et de proposer un nouveau cadre de coopération militaire, sans présence physique étrangère. Cette décision entre dans le cadre d’une tendance marquée par le rejet grandissant des symboles de domination postcoloniale. Elle reflète aussi des retraits similaires de la France en Afrique de l’Ouest ces dernières années. La fermeture des installations françaises au Sénégal entraîne également des impacts sociaux.

Des conséquences humaines importantes

Le licenciement de 162 employés locaux, annoncé pour le 1er juillet 2025, a suscité l’inquiétude des syndicats et des salariés. Ces travailleurs, pour la plupart en contrat à durée indéterminée, ont été notifiés par un courrier officiel du général Yves Aunis, commandant des EFS. En plus des personnels directement employés, plusieurs centaines de travailleurs sous-traitants sont également concernés par cette vague de départs. Un forum de reconversion professionnelle a été organisé pour accompagner cette transition, mais des voix s’élèvent pour réclamer plus de garanties.

Lire aussi : Fin des accords militaires avec la France : réactions véhémentes du Tchad et du Sénégal aux déclarations de Macron

Le retrait français du Sénégal entre dans un mouvement continental de réorganisation des présences militaires. Depuis 2022, la France a été contrainte de quitter le Mali, le Burkina Faso, le Niger, la Centrafrique et même partiellement la Côte d’Ivoire, sous pression de gouvernements en rupture avec l’influence occidentale. Ces départs ont souvent été précipités par des changements politiques, des coups d’État et une montée en puissance de discours nationalistes hostiles à la présence étrangère. Le cas du Sénégal diffère toutefois par sa nature pacifique et concertée.

Un symbole fort : une fin sans rupture

Face à ces évolutions, Paris a dû revoir en profondeur sa stratégie militaire sur le continent. Le modèle de coopération désormais privilégié repose sur l’appui technique, la formation et les interventions ponctuelles à la demande. Seules quelques bases sont encore actives, comme celle de Djibouti ou, pour l’instant, celle de Libreville au Gabon. Cette transition stratégique vise à préserver l’influence française sans susciter les tensions qu’occasionnait une présence armée permanente. Le cas sénégalais, bien que symbolique, représente donc un test de cette nouvelle approche.

La restitution de la base de Ouakam n’est pas un simple transfert d’infrastructure : elle est la réalité d’une redéfinition des rapports entre la France et l’Afrique. Elle marque la fin d’un cycle postcolonial, tout en laissant ouverte la possibilité d’une coopération renouvelée. Si le retrait militaire est acté, le dialogue diplomatique et stratégique reste actif. Paris et Dakar entendent conserver des liens solides, mais sur des bases revues et plus respectueuses de la souveraineté sénégalaise.

Avatar photo
Une plume qui balance entre le Sénégal et le Mali, deux voisins en Afrique de l’Ouest qui ont des liens économiques étroits
Newsletter Suivez Afrik.com sur Google News