
La France a officiellement remis à l’État du Sénégal la station d’émission interarmées située à Rufisque. Ce site stratégique, en activité depuis 1960, assurait les communications militaires sur la façade atlantique sud. Il faisait partie des infrastructures utilisées par les Éléments français au Sénégal (EFS), la force militaire installée dans le pays depuis la fin de la période coloniale.
L’annonce a été faite dans un communiqué de l’ambassade de France à Dakar. La France a officiellement remis à l’État du Sénégal la station d’émission interarmées située à Rufisque. Le document souligne que cette restitution marque une nouvelle étape dans la reconfiguration du partenariat militaire franco-sénégalais. Cette décision s’inscrit dans une volonté commune de bâtir une coopération plus équilibrée, fondée sur le respect mutuel de la souveraineté des deux États.
Vers un désengagement total
Depuis février 2025, un processus de retrait progressif des emprises militaires françaises a été enclenché à la suite d’un accord entre Paris et Dakar. Une commission conjointe franco-sénégalaise a été chargée de coordonner ce retrait, avec pour objectif une rétrocession complète d’ici la fin de l’été 2025.
Plusieurs étapes ont déjà été franchies : les sites Maréchal et Saint Exupéry ont été restitués en mars, suivis en mai du quartier contre-amiral Protêt, situé au port de Dakar. Seules deux infrastructures restent à transférer : l’escale aéronautique à l’aéroport militaire de Dakar et l’emprise du parc de Hann, liée au programme Recamp (Renforcement des capacités africaines de maintien de la paix).
Une présence militaire héritée de l’histoire coloniale
La présence militaire française au Sénégal trouve ses origines dans les Forces françaises du Cap-Vert, installées peu après l’indépendance du pays en 1960. En 2011, ces forces ont été restructurées sous l’appellation Éléments français au Sénégal (EFS), une unité intégrée dans le dispositif français de coopération militaire en Afrique.
Longtemps perçus comme un symbole de coopération sécuritaire, les EFS ont aussi cristallisé des critiques grandissantes au sein de l’opinion publique africaine, où la présence militaire française est parfois interprétée comme un vestige de la domination coloniale.
Une réorientation stratégique assumée
Lors d’une rencontre avec le Président sénégalais Bassirou Diomaye Faye à Séville, en marge de la Conférence des Nations Unies sur le financement du développement, Emmanuel Macron a salué « un partenariat en pleine refonte », destiné à « avancer ensemble au service des intérêts de nos peuples et de notre souveraineté ». Cette déclaration s’inscrit dans une stratégie française de repositionnement en Afrique, à l’heure où plusieurs pays réclament davantage d’autonomie en matière de défense.
Le départ progressif des troupes françaises s’inscrit ainsi dans une logique de « désengagement concerté », déjà amorcée dans d’autres régions du continent. La France entend maintenir des liens de coopération militaire, mais sur des bases nouvelles, privilégiant la formation, le conseil et l’appui technique, plutôt que la présence permanente de troupes.
Un retrait qui dépasse les frontières du Sénégal
Le départ des troupes françaises du Sénégal fait écho à un mouvement plus ample de redéploiement, voire de retrait, de l’armée française de plusieurs pays africains ces dernières années. En 2022, la France s’est retirée du Mali sous pression des autorités de transition, rompant un partenariat de longue date en matière de lutte contre le terrorisme.
Ce retrait a été suivi par d’autres départs : au Burkina Faso en 2023, puis au Niger en 2024, où des tensions politiques et un sentiment anti-français grandissant ont conduit à la dénonciation des accords militaires. Ces retraits marquent la fin d’un cycle d’engagement militaire français très actif dans le Sahel à travers l’opération Barkhane, officiellement close en novembre 2022.
La vague de départs français intervient dans un contexte de montée du nationalisme africain et de rejet des anciennes puissances coloniales. Les militaires au pouvoir au Mali, au Burkina Faso ou encore au Niger ont souvent instrumentalisé ce ressentiment pour renforcer leur légitimité populaire. Des manifestations hostiles à la France, des attaques contre ses intérêts économiques ou culturels, et des discours politiques accusateurs ont accompagné cette évolution.
Dans ce climat, la France a dû revoir sa stratégie. Plutôt que d’imposer une présence militaire perçue comme intrusive, Paris cherche désormais à établir des relations d’égal à égal, fondées sur des partenariats ponctuels et des interventions ciblées, uniquement à la demande des États africains. Le retrait du Sénégal, pays historiquement proche de la France, symbolise cette nouvelle ère. La coopération sécuritaire n’est pas pour autant rompue, mais elle change de forme.
Repenser la coopération sécuritaire
Le Sénégal continuera à bénéficier de formations militaires, de transferts de compétences et d’équipements, mais dans un cadre défini par ses propres priorités stratégiques. Il s’agit aussi pour les États africains de renforcer leurs capacités autonomes de défense. Des initiatives régionales comme la Force conjointe du G5 Sahel ou l’Agence de défense africaine de l’Union africaine pourraient progressivement prendre le relais, dans un modèle plus enraciné localement.
Avec la restitution progressive des emprises militaires, la France clôt un chapitre de son histoire postcoloniale en Afrique de l’Ouest. Le retrait des EFS du Sénégal ne signe pas la fin des relations bilatérales, mais leur redéfinition sur un socle plus respectueux des souverainetés et des aspirations africaines.