
La rencontre entre le Premier ministre algérien Nadir Larbaoui et le roi Felipe VI affiche la proximité des relations bilatérales entre les deux pays. Face aux tensions croissantes avec Rabat – narcotrafic incontrôlé, pressions sur Ceuta et Melilla, concurrence portuaire acharnée – Madrid semble opérer un virage stratégique vers Alger, qui s’impose comme le partenaire naturel pour la stabilité régionale.
La rencontre entre le Premier ministre algérien Nadir Larbaoui et le roi d’Espagne Felipe VI, survenue dimanche 30 juin 2025 à Séville est un signe fort du renouveau dans les relations algéro-espagnoles. En marge de la 4e Conférence internationale sur le financement du développement, le souverain espagnol a chargé le chef du gouvernement algérien de transmettre ses salutations et « toute son estime » au président Abdelmadjid Tebboune.
FLASH |Le Premier ministre algérien #Nadir_Larbaoui est reçu par le roi d’#Espagne Philippe VI. #Algérie pic.twitter.com/Vpv12sjLKJ
— بوابة الجزائر – Algeria Gate (@algatedz) June 30, 2025
Ce geste protocolaire, qui pourrait paraître anodin, revêt en réalité une importance particulière dans le contexte des relations bilatérales qui sortent progressivement de trois années de turbulences diplomatiques. Il semble annoncer un repositionnement stratégique de Madrid face aux multiples défis qui l’opposent à Rabat.
D’une crise profonde à une normalisation progressive
Les relations entre Alger et Madrid ont connu une période tendue après mars 2022, suite au revirement de position du Premier ministre Pedro Sánchez qui avait qualifié le plan d’autonomie marocain de « base sérieuse, réaliste et crédible« . Une déclaration qui avait comme contrepartie le controle des flux migratoires par Rabat.
L’Algérie avait réagi vivement, rappelant son ambassadeur et gelant le traité d’amitié signé en 2002. Le président Tebboune lui-même n’avait pas mâché ses mots, distinguant cependant clairement entre la position du gouvernement Sánchez et celle du peuple espagnol, tout en épargnant soigneusement la figure royale.
Les tensions croissantes entre Madrid et Rabat
Paradoxalement, le rapprochement de l’Espagne avec le Maroc n’a pas apaisé toutes les tensions entre les deux pays. Les enclaves de Ceuta et Melilla restent un point de friction majeur. Le Maroc multiplie les provocations, déployant des bataillons de guerre électronique à proximité des deux villes autonomes espagnoles et publiant des cartes intégrant ces territoires comme marocains. Face à ces défis, Madrid a renforcé sa présence militaire et déployé des frégates en démonstration de force.
L’Espagne fait également face à un fléau grandissant : le narcotrafic en provenance du Maroc. Premier producteur mondial de haschisch, le royaume chérifien inonde littéralement la péninsule ibérique de drogue. La Linea, petite ville frontalière de Gibraltar, est devenue la principale porte d’entrée du cannabis en Europe, avec 280 tonnes transitant chaque mois. Les autorités espagnoles ne parviennent à intercepter que 4% de ces flux, tandis que des réseaux sophistiqués utilisent désormais des drones sous-marins et des tunnels clandestins, comme celui récemment découvert entre le Maroc et Ceuta.
Cette situation empoisonne les relations et alimente la corruption des deux côtés du détroit.
La bataille économique des ports. Sur le plan économique, le port de Tanger Med est devenu une épine dans le pied de l’Espagne. Avec plus de 10 millions de conteneurs traités en 2024, il a non seulement dépassé Algésiras mais écrase désormais la somme des performances des ports espagnols de Valence et d’Algésiras réunis. Cette domination inquiète Madrid, qui voit ses ports méditerranéens perdre leur hégémonie historique en raison des taxes carbones imposées par l’Europe.
Face à cette menace, l’Espagne vient d’annoncer un plan d’investissement colossal de 1,77 milliard d’euros pour moderniser le port d’Algésiras et tenter de contrer l’expansion marocaine.
La pression populaire espagnole pour le Sahara occidental
Un autre facteur pousse l’Espagne à reconsidérer ses alliances : la pression croissante de la société civile et de l’opposition politique. Le Parti Populaire dénonce une « normalisation inachevée » avec l’Algérie et réclame un retour à la position historique de l’Espagne sur la question sahraouie. Les associations de défense des droits humains et les mouvements de solidarité avec le peuple sahraoui exercent une pression constante sur le gouvernement Sánchez.
Cette mobilisation populaire, combinée aux tensions sécuritaires avec le Maroc, pousse naturellement Madrid à rééquilibrer ses relations régionales et à se rapprocher d’Alger.
Depuis début 2025, les signes de détente se multiplient. La rencontre entre les ministres des Affaires étrangères Ahmed Attaf et José Manuel Albares à Johannesburg en février dernier avait ouvert la voie. Elle fut suivie par la visite du ministre de l’Intérieur Brahim Merad à Madrid, première d’un membre du gouvernement algérien depuis la crise. Le message royal transmis à Séville s’inscrit dans cette dynamique.
Au-delà des considérations diplomatiques, les enjeux économiques poussent naturellement les deux pays à normaliser leurs relations. L’Espagne demeure un partenaire commercial majeur pour l’Algérie, tandis que l’approvisionnement énergétique algérien reste stratégique pour Madrid, particulièrement dans le contexte énergétique européen actuel.
Les échanges commerciaux, bien qu’ayant souffert de la crise diplomatique, n’ont jamais cessé complètement. Le gazoduc Medgaz, qui relie directement Béni Saf à Almería, continue d’acheminer le gaz algérien vers la péninsule ibérique, illustrant l’interdépendance énergétique des deux pays.
L’Algérie, acteur régional central
Cette rencontre intervient dans un contexte où l’Algérie s’affirme comme l’acteur central de la stabilité régionale. Sa participation active à la conférence de Séville sur le financement du développement témoigne de son engagement croissant dans les enjeux globaux du développement durable.
Le soutien espagnol au « rôle de l’Algérie dans le renforcement de la stabilité et la promotion du développement dans la région sahélo-sahélienne« , exprimé lors de la rencontre de Johannesburg, reconnaît l’importance stratégique d’Alger dans les équilibres régionaux. Face aux multiples défis sécuritaires – terrorisme, migration, trafics en tous genres – l’Espagne réalise qu’elle a besoin d’un partenaire fiable et puissant au sud de la Méditerranée. L’Algérie, avec sa stabilité politique, sa puissance militaire et ses ressources énergétiques, s’impose naturellement dans ce rôle.
Les perspectives d’un partenariat privilégié
Le geste du roi Felipe VI laisse entrevoir la construction d’un nouveau partenariat privilégié entre l’Espagne et l’Algérie. Madrid a conscience que ses intérêts à long terme passent par un rééquilibrage de ses relations maghrébines. Les tensions croissantes avec le Maroc poussent naturellement l’Espagne vers Alger.
L’Espagne découvre les limites d’une politique exclusivement pro-marocaine. Les concessions sur le Sahara occidental n’ont pas apaisé les revendications de Rabat sur les enclaves espagnoles, bien au contraire. C’est pourquoi la rencontre de Séville et le message royal annoncent un revirement stratégique où l’Algérie s’affirme comme le partenaire privilégié de l’Espagne en Afrique du Nord.