Sénégal : quand les comptes de l’ère Macky Sall se règlent devant la justice


Lecture 4 min.
Bassirou Diomaye Faye et Macky Sall
Bassirou Diomaye Faye et Macky Sall

Pour la première fois depuis près de vingt ans, la Haute Cour de justice du Sénégal va juger d’anciens ministres, accusés de détournements liés au fonds Covid. Une décision emblématique qui traduit la volonté du président Bassirou Diomaye Faye de rompre avec l’impunité, mais qui divise profondément la classe politique.

C’est une procédure exceptionnelle dans l’histoire du Sénégal. Pour la première fois depuis près de deux décennies, la Haute Cour de justice va être activée pour juger d’anciens membres d’un gouvernement. Cinq ex-ministres du Président Macky Sall sont visés, accusés de détournements de fonds publics, principalement liés à la gestion du fonds anti-Covid. Cette décision, fruit d’un vote majoritaire des députés, marque un tournant politique sous l’ère Bassirou Diomaye Faye, nouvellement élu avec une promesse phare : la lutte implacable contre la corruption.

Une procédure rarissime dans l’histoire judiciaire sénégalaise

Depuis l’indépendance en 1960, la Haute Cour de justice n’a été sollicitée qu’à deux reprises. La première fois en 1963 pour juger Mamadou Dia, alors président du Conseil, et la seconde en 2005 avec l’ancien Premier ministre Idrissa Seck. L’activation de cette juridiction spéciale, compétente uniquement pour juger les chefs d’État et ministres pour des actes commis dans l’exercice de leurs fonctions, témoigne de la gravité des accusations actuelles. Cette fois, ce sont les noms de Moustapha Diop, Amadou Mansour Faye, Aïssatou Sophie Gladima, Salimata Diop et Ismaïla Madior Fall qui seront au cœur des débats.

Les accusations sont lourdes. La majorité des mis en cause sont soupçonnés d’avoir détourné des sommes colossales issues du fonds « force Covid-19« , estimé à 1 000 milliards de francs CFA, censé renforcer le système sanitaire et aider les ménages durant la pandémie. Moustapha Diop aurait engagé 2,5 milliards en liquide pour la production de masques, en violation des règles comptables. Mansour Faye, beau-frère de l’ancien président, est quant à lui accusé d’un surplus injustifié de 2,7 milliards dans des achats de riz. Quant à Gladima et Salimata Diop, elles doivent respectivement justifier de dépenses de 193 millions et 57 millions FCFA pour des projets liés à la crise sanitaire.

Ismaïla Madior Fall, un cas à part

L’ancien ministre de la Justice, Ismaïla Madior Fall, se distingue des autres. Il n’est pas poursuivi pour sa gestion du fonds Covid, mais pour des faits présumés de corruption et concussion. Un promoteur immobilier l’accuse d’avoir exigé 250 millions FCFA pour l’attribution d’un marché, une somme dont un acompte de 50 millions aurait été versé avant l’annulation du contrat. Des allégations qu’il réfute catégoriquement. Son dossier pourrait constituer un précédent délicat, car il touche au cœur de l’appareil judiciaire lui-même.

Sous la houlette de Bassirou Diomaye Faye, élu en mars 2024, ce procès s’inscrit dans une vaste opération de « reddition des comptes » prônée par le nouveau pouvoir. Fort d’une majorité parlementaire acquise à sa coalition, le régime multiplie les enquêtes visant d’anciens dignitaires de l’administration Sall. Pour ses partisans, il s’agit de restaurer la transparence et l’intégrité de l’État. Mais l’opposition, elle, dénonce une « juridiction d’exception », une « chasse aux sorcières » et s’inquiète d’un glissement vers une justice instrumentalisée.

Une société sénégalaise divisée, mais attentive

Ce procès hautement symbolique s’annonce suivi de très près par l’opinion publique. Dans un pays où les scandales financiers ont souvent laissé un goût d’impunité, beaucoup espèrent voir émerger une ère nouvelle de responsabilité. Pour d’autres, la Haute Cour de justice, sans appel ni recours, suscite des craintes en matière de droits de la défense. Quoi qu’il en soit, ce moment judiciaire pourrait redéfinir les lignes du pouvoir et de la responsabilité politique au Sénégal pour les années à venir.

Newsletter Suivez Afrik.com sur Google News