
Le gouvernement sénégalais a annoncé la suspension immédiate des extraditions vers la France, estimant que Paris ne respecte pas ses engagements dans le cadre de la convention bilatérale signée en 2021. Cette décision soulève de fortes réactions, notamment de la part du collectif d’avocats de Madiambal Diagne, l’une des personnes visées par une demande d’extradition actuellement examinée par la justice française. Pour eux, Dakar utilise « un chantage diplomatique » qui compromet directement la procédure.
Dakar invoque un manque de réciprocité
La ministre sénégalaise de la Justice, Yassine Fall, a justifié cette suspension en évoquant un « déséquilibre flagrant » dans l’application de l’accord. Le Sénégal a exécuté trois extraditions sur dix-neuf demandes françaises déposées entre 2024 et 2025, tandis que Paris n’aurait pas donné suite à deux requêtes sénégalaises visant un homme d’affaires et un patron de presse installés en France.
Selon la ministre, le Sénégal a transmis toutes les pièces justificatives nécessaires, mais la justice française maintiendrait une attitude « dilatoire ». Dakar estime donc légitime de recourir au principe de réciprocité, rappelant que « les accords internationaux exigent une application équitable des deux côtés ». Cette décision s’inscrit dans un contexte où le Sénégal affiche une volonté accrue de défendre sa souveraineté judiciaire face à la France, un partenaire historique avec lequel les relations connaissent plusieurs tensions depuis près d’un an.
Les avocats de Madiambal Diagne dénoncent une manœuvre politique
Quelques heures après l’annonce, les avocats de Madiambal Diagne ont publié un communiqué très critique. Selon eux, la suspension des extraditions vise à influencer la procédure en cours devant la chambre de l’instruction de Versailles, chargée d’examiner la demande d’extradition visant leur client. Ils rappellent qu’un arrêt rendu le 25 novembre 2025 a fait ressortir d’importants manquements dans le dossier transmis par Dakar. Les magistrats ont relevé l’absence de précisions sur les périodes et les lieux des faits reprochés, un flou sur la nature exacte des infractions et un manque de documents pourtant indispensables à toute demande d’extradition.
La justice française a demandé que tous les éléments manquants soient transmis avant le 23 janvier 2026. Pour le collectif, ces lacunes auraient suffi à justifier un rejet immédiat de la demande. Ils affirment que la procédure engagée par Dakar est « extrêmement légère », voire infondée, et qu’elle repose sur des poursuites « éminemment politiques ». Selon eux, cette nature politique explique l’incapacité du Sénégal à fournir les pièces exigées par les juridictions françaises.
Un épisode qui risque d’alourdir les tensions diplomatiques
Les avocats affirment également que la décision de Dakar révèle la faiblesse du dossier. En présentant la France comme responsable du blocage, le Sénégal chercherait, selon eux, à masquer l’inconsistance des accusations. Ils voient dans ce geste « l’artificialité des poursuites » contre leur client et une tentative de pression sur la justice française, qu’ils considèrent indépendante et insensible aux manœuvres diplomatiques. Cette suspension pourrait avoir des conséquences concrètes sur la coopération judiciaire entre les deux pays.
En matière de criminalité financière, de cybercriminalité ou de dossiers transnationaux impliquant des ressortissants des deux États, la fluidité des échanges pourrait diminuer. Plusieurs observateurs estiment que ce bras de fer constitue un test important pour les relations franco-sénégalaises, déjà fragilisées par d’autres dossiers touchant à la coopération sécuritaire et à la politique étrangère. Dans ce climat, l’affaire Madiambal Diagne pourrait devenir un symbole des tensions entre Dakar et Paris. La justice française doit encore examiner les pièces complémentaires, si elles parviennent dans les délais.
Une dynamique déjà observée dans d’autres pays africains
De son côté, le Sénégal défend l’idée que cette suspension est un acte de fermeté visant à rappeler que la coopération ne peut fonctionner que dans un cadre équilibré. La décision du Sénégal s’inscrit dans une tendance plus large où plusieurs États africains contestent la manière dont leurs partenaires occidentaux appliquent les accords judiciaires. Au Nigeria, des tensions avaient émergé en 2022 avec le Royaume-Uni, accusé de ne pas coopérer dans une affaire de détournement de fonds impliquant un ancien gouverneur. Le Rwanda, de son côté, a longtemps reproché à l’Afrique du Sud son refus d’extrader des suspects du génocide de 1994, ce qui a presque paralysé la coopération judiciaire entre 2014 et 2016.
Au Kenya, la lenteur de la justice française dans une affaire de corruption impliquant un ressortissant franco-kenyan avait également suscité de vives critiques en 2020. Ces épisodes traduisent une redéfinition plus large de la souveraineté judiciaire africaine, caractérisée par une exigence accrue de réciprocité et de transparence dans les échanges internationaux. La France n’a, pour l’instant, pas réagi officiellement à la suspension décidée par Dakar.




