“Sauvons La RDC” : le rebond de Joseph Kabila, retour stratégique et contre-offensive politique


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Joseph Kabila, ancien Président de la RDC
Joseph Kabila, ancien Président de la RDC

Dans un hôtel discret du quartier de Karen, à Nairobi, Joseph Kabila Kabange a retrouvé cette posture calme et impénétrable qui a longtemps fait sa marque. L’ancien président de la République Démocratique du Congo, condamné à mort par la Haute Cour militaire de Kinshasa, a choisi la politique comme réponse.

Sous son impulsion, une douzaine de figures politiques, parlementaires et membres de la diaspora ont lancé le mouvement “Sauvons la République Démocratique du Congo”, un cadre de concertation patriotique présenté comme une “réponse d’honneur et de responsabilité nationale” à la dérive autoritaire du président Tshisekedi, que fragilisent les conditions contestées de sa dernière élection.

La scène intervient à un moment charnière : une semaine à peine après la condamnation à mort de Joseph Kabila par la Haute Cour militaire de Kinshasa. Une décision jugée « politique » par de nombreux observateurs dont Human Rights Watch ou le Ministre belge des Affaires Étrangères, mais qui n’en demeure pas moins un tournant historique. Loin de réagir frontalement, l’ancien président a choisi une voie politique, non judiciaire : Nairobi devient le cadre de sa tribune et de sa riposte.

 “Une condamnation absurde, une réaction politique”

« Cette condamnation n’est pas une fin, c’est un signal », confie un proche du cercle kabiliste historique. « Le pays a sombré dans l’irrationnel. Il fallait remettre la politique au centre, et Kabila a choisi la hauteur. » À ses côtés, un ancien ministre  estime que «Nairobi marque la fin du silence stratégique. Il fallait une réponse politique, pas judiciaire.» Le ton est posé, réfléchi, presque académique. Mais l’objectif est clair : rétablir la souveraineté du Congo, menacée, selon les participants, «autant par les dérives internes que par les influences extérieures».

 Une réunion à huis clos pour un message clair

Pendant deux jours, les échanges ont été intenses. Autour de Kabila : l’ancien Premier ministre Augustin Matata Ponyo, le Coordonnateur du Front Commun pour le Congo Raymond Tshibanda, les anciens ministres José Makila, Théophile Mbemba, Barnabé Kikaya Bin Karubi ou les nouvelles figures Seth Kikuni, Bienvenue Matumo ou Philia Tshipasa, ainsi que plusieurs autres figures issues de la diaspora. Tous ont signé une déclaration finale appelant à la “restauration de l’autorité de l’État” et au retrait des troupes étrangères et mercenaires opérant en RDC, ainsi qu’un appel à un dialogue inclusif sous égide des Églises chrétiennes que jusqu’ici Tshisekedi refuse de convoquer. 

«Le Congo ne peut pas déléguer sa sécurité à d’autres. Ceux qui prétendent le défendre en profitent pour le dépouiller», dénonce un ancien officier présent à la rencontre. Le ton reste feutré, mais les mots sont lourds de sens.

Le choix de Nairobi n’est pas anodin. Capitale actuelle de l’East African Community que le Kenya dirige, c’est un hub neutre où naquirent en son temps le CACH de Tshisekedi et Kamerhe, ou plus récemment l’AFC de Corneille Nanga. Cadre africain, diplomatique, symbole de légitimité régionale et de distance vis-à-vis de Kinshasa, d’autant plus que les relations entre William Ruto et Félix Tshisekedi sont fraîches. Kabila y parle d’un Congo déchiré, affaibli, miné par la présence de troupes étrangères et de mercenaires. Il réclame le retrait de ces forces et la reconstruction d’une armée républicaine, en écho à son héritage sécuritaire des années 2000.

 “Sauvons la RDC” : ni nostalgie ni revanche

Le mouvement Sauvons la RDC veut en effet se démarquer d’une logique partisane. “C’est un front civique, moral et républicain. Ceux qui ont connu Kabila savent qu’il déteste les coups d’éclat. Il avance lentement, mais sûrement.” Un diplomate africain présent en observateur nuance :  Ce que Kabila fait ici, c’est ce qu’aucun autre ancien président congolais n’avait osé : revenir, non pour régner, mais pour rétablir un équilibre. Nairobi est son terrain neutre, son laboratoire politique.”

 Les prémices d’un nouvel affrontement

Dans les couloirs du pouvoir à Kinshasa, la réunion de Nairobi a été suivie avec une nervosité palpable, comme en témoignent les sorties en désordre des ministres Shabani, Muyaya ou Paluku. Un conseiller présidentiel confie, sous anonymat :  Ils cherchent à transformer un procès en plateforme politique. C’est dangereux, car cela peut lui redonner une légitimité qu’on croyait éteinte.

De fait, la confrontation entre Kabila et Tshisekedi semble entrer dans une phase nouvelle.

L’un contrôle l’appareil d’État, l’autre reconstruit le sien, à l’étranger, en misant sur la mémoire, la patience et la cohérence. Le premier parle au nom du présent, le second s’adresse à l’histoire. Kabila a réussi à se présenter en martyr d’une justice instrumentalisée et opère un renversement d’image et de capital politique surprenant pour ceux qui le donnaient pour mort. 

 Une bataille d’image et de temps

Joseph Kabila n’a pas annoncé de retour en politique active, mais son mouvement lui rend une place. Il sait que le temps joue pour lui : les divisions de l’opposition, avec les absences remarquées de Moise Katumbi ou Delly Sessanga, posent la question de la viabilité de ce rassemblement au moment où Martin Fayulu semble se rapprocher de Tshisekedi. L’usure du pouvoir en place, les revers militaires à l’est, la fatigue des partenaires étrangers, créent un vide qu’il remplit naturellement. Pour ses soutiens, Nairobi marque le début du redressement moral du Congo. Pour ses adversaires, c’est le retour d’un fantôme politique dont le pays n’a jamais vraiment réglé l’héritage.

Mais à en juger par le calme maîtrisé de l’ancien président et la discipline de son entourage, une certitude s’impose : Kabila n’a pas répondu à sa condamnation par la colère. Il y a répondu par une stratégie. Et, à Nairobi, cette stratégie a commencé à prendre forme.

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