Sahel, nouveau cœur du terrorisme : une crise qui menace le Maghreb et l’Europe


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Terrorisme Maghreb Sahel
Terrorisme Maghreb Sahel

Alors que les groupes armés étendent leur emprise au cœur de l’Afrique de l’Ouest, le Sahel s’impose comme l’un des foyers les plus dangereux de l’extrémisme violent, avec des répercussions potentielles jusqu’aux rives de la Méditerranée. Diplomates, dirigeants africains et institutions internationales alertent sur une crise à la fois sécuritaire, humanitaire et géopolitique que les réponses actuelles peinent à endiguer.

Sahel, épicentre du terrorisme

En 2025, la situation sécuritaire au Sahel a atteint un seuil critique, avec environ 450 attaques terroristes entre janvier et novembre ayant causé plus de 1 900 morts en Afrique de l’Ouest selon la CEDEAO. Ces chiffres confirment la région comme l’un des principaux épicentres du terrorisme mondial, avec une intensification des violences qui déborde les seules frontières sahéliennes.

Lors de la conférence « Maghreb-Sahel : crise sécuritaire au Sahel et risques de contagion », organisée à Nouakchott, le diplomate tunisien Ezzeddine Zayani a décrit la crise sahélienne comme une « bombe à retardement » susceptible d’ébranler le Maghreb puis l’Europe. Le président sierra-léonais Julius Maada Bio, à la tête de la CEDEAO, a lui aussi averti le Conseil de sécurité que sans action résolue, le Sahel pourrait devenir un « sanctuaire permanent » pour les groupes extrémistes à quelques heures de vol des grandes métropoles mondiales.

Pauvreté, gouvernance et jeunesse abandonnée

La dynamique terroriste ne s’explique pas uniquement par des facteurs militaires et sécuritaires, mais s’enracine dans des fractures sociales profondes. Pauvreté de masse, services publics défaillants, corruption et absence de perspectives pour la jeunesse créent un terrain extrêmement favorable au recrutement par les groupes armés.

En Afrique subsaharienne, près d’un enfant sur cinq ne va pas à l’école, et une majorité décroche avant la fin du primaire, ce qui limite l’accès à l’emploi et renforce la vulnérabilité des jeunes. Dans le Sahel central, l’accès à l’eau potable et à l’électricité reste extrêmement limité, alors même que la région regorge de ressources naturelles comme le pétrole, l’uranium ou l’or, ce qui accentue le sentiment d’injustice.

Les institutions financières internationales alertent sur l’impact des crises et des fermetures d’écoles sur une génération d’enfants et d’adolescents, exposée à la criminalité et à la radicalisation faute d’opportunités. Parallèlement, la crise humanitaire se traduit par des millions de déplacés, des milliers d’écoles fermées et des centres de santé hors d’usage, ce qui fragilise encore davantage les sociétés sahéliennes.

Recomposition géopolitique : AES, retrait occidental et Russie

Les coups d’État militaires successifs au Mali, au Burkina Faso et au Niger entre 2020 et 2023 ont reconfiguré en profondeur le paysage politique et sécuritaire du Sahel. Ces trois États ont rompu avec une partie de leurs partenaires occidentaux traditionnels et se sont regroupés au sein de l’Alliance des États du Sahel (AES), affichant la volonté de reprendre le contrôle de leur sécurité.

Lors d’un récent sommet, l’AES a annoncé la mise en place d’un bataillon conjoint et d’une chaîne de télévision dédiée, dans une logique de souveraineté sécuritaire et narrative. Mais le retrait des forces étrangères, notamment françaises, a laissé un vide que les groupes armés, dont le JNIM affilié à Al-Qaïda et l’État islamique dans le Grand Sahara, ont exploité pour étendre leurs zones d’influence.

Parallèlement, la Russie a renforcé sa présence via des dispositifs de coopération sécuritaire, notamment au Mali et au Niger, séduisant des juntes en quête de partenaires moins exigeants en matière de critères démocratiques. Des analystes soulignent toutefois que cette recomposition ne libère pas l’Afrique de la « tyrannie géostratégique », les dirigeants africains conservant une responsabilité majeure dans les choix qui engagent leurs pays.

L’Europe face à ses responsabilités historiques

Pour Ezzeddine Zayani, l’attitude de l’Europe à l’égard de l’Afrique reste marquée par une forme d’indifférence stratégique et par l’absence d’une architecture nouvelle dans la relation entre les deux continents. Les projections démographiques des Nations unies montrent qu’en 2100, l’Afrique pourrait compter plus de 4 milliards d’habitants, contre moins d’un demi‑milliard pour l’Union européenne, ce qui accentuera les pressions migratoires et sécuritaires.

Le diplomate plaide pour que les peuples africains puissent choisir librement leurs dirigeants, dénonçant le soutien occidental à des régimes qui s’accrochent au pouvoir. Parmi ses propositions fortes figure la levée du secret bancaire pour identifier les fonds occultes des dirigeants africains, alors que les flux financiers illicites sortant du continent dépasseraient plusieurs dizaines de milliards de dollars par an.

Selon divers rapports internationaux, ces flux illicites sont supérieurs aux montants des transferts légaux de la diaspora, ce qui prive les États africains de ressources essentielles pour financer l’éducation, la santé et les infrastructures. Cette réalité illustre un paradoxe : l’Afrique est à la fois fortement dépendante de l’extérieur et lourdement ponctionnée par des circuits financiers opaques.

Migrations, symptôme d’un continent en crise

La détérioration des conditions de vie et l’insécurité généralisée alimentent des flux migratoires en direction du Maghreb et de l’Europe. Certains pays du Sahel figurent parmi les principaux foyers de départs de migrants irréguliers, reflétant autant la pression économique que la fuite de régimes autoritaires ou instables.

Depuis 2014, la Méditerranée est devenue l’un des couloirs migratoires les plus mortels au monde, avec plus de 20 000 morts et disparitions recensés, selon les estimations des organisations internationales. Cette hécatombe en mer illustre l’ampleur du désespoir d’une partie de la jeunesse africaine, prête à risquer sa vie pour tenter de rejoindre l’Europe.

Pour Zayani, la réponse durable à la crise terroriste passe d’abord par la « fixation » des Africains chez eux, via l’émancipation économique, sociale et politique des jeunes. Selon lui, seule une transformation en profondeur des conditions de vie sur le continent permettra de tarir à la fois les flux migratoires forcés et le recrutement par les groupes extrémistes.

Vers un « plan Marshall » pour l’Afrique ?

Face à cette situation, l’Union européenne et l’Union africaine ont tenu en novembre 2025 à Luanda leur septième sommet, marquant les 25 ans de leur partenariat et annonçant une mobilisation de 150 milliards d’euros pour l’Afrique dans le cadre de l’initiative Global Gateway. Ces investissements visent notamment les énergies durables, la transformation numérique et le développement du secteur privé, avec l’ambition de proposer une alternative crédible aux autres puissances présentes sur le continent.

Dans le même temps, la CEDEAO et l’AES ont engagé des consultations de haut niveau pour coopérer malgré leurs différends, tandis qu’un appel humanitaire de près de 5 milliards de dollars pour le Sahel et le bassin du lac Tchad reste largement sous-financé.

Les lenteurs dans l’activation de la Force en attente de la CEDEAO illustrent le décalage entre la gravité de la crise et la capacité des organisations régionales à y répondre.
De plus en plus de voix plaident pour un véritable « plan Marshall » africain, inspiré de l’effort de reconstruction européen d’après‑guerre, articulant investissements massifs, réformes de gouvernance et lutte contre les flux financiers illicites. Le secrétaire général de l’ONU rappelle que les groupes terroristes prospèrent là où le contrat social est rompu, soulignant l’urgence d’une réponse structurelle allant bien au‑delà du seul registre militaire.

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Criss Bailly est un journaliste collaborant avec afrik.com, où il couvre une large palette de sujets allant de la politique à la culture, en passant par la santé et la société. Ses articles abordent des thématiques variées, telles que la responsabilité sociétale des entreprises en Afrique, la situation épidémiologique du Covid-19 au Gabon, ou encore des enquêtes sur des scandales internationaux impliquant des figures publiques. Il met également en lumière des figures marquantes du continent, comme l’écrivain Serge Bilé ou la chanteuse Dobet Gnahoré, à travers des interviews et des analyses approfondies. Son travail reflète un engagement à décrypter les dynamiques africaines contemporaines, tout en donnant une voix aux acteurs influents du continent.
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