
Alors que la région du Nord-Est nigérian est de nouveau en proie à une vague meurtrière d’attaques terroristes, les gouverneurs des six États concernés tirent la sonnette d’alarme. Réunis en forum le 1er mai 2025, ils dénoncent une dégradation préoccupante de la situation sécuritaire et appellent à une refonte en profondeur de la stratégie militaire.
Le Nord-Est du Nigeria, longtemps meurtri par l’insurrection jihadiste, connaît depuis plusieurs semaines un inquiétant regain de violence. En avril seulement, plus d’une centaine de personnes ont perdu la vie dans des attaques attribuées aux groupes Boko Haram et État Islamique en Afrique de l’Ouest (ISWAP). Ce bilan tragique marque une nouvelle phase d’escalade dans une guerre asymétrique qui semblait, ces dernières années, avoir été contenue grâce aux opérations conjointes menées par les forces armées nigérianes et leurs alliés régionaux.
C’est dans ce contexte que les gouverneurs des États de Borno, Adamawa, Yobe, Gombe, Taraba et Bauchi — les plus touchés par l’insécurité — se sont réunis à Maiduguri pour une session spéciale de leur forum régional. À l’issue de leur rencontre, ils ont publié un communiqué commun pour exprimer leur vive inquiétude et interpeller les autorités fédérales, ainsi que les forces de sécurité, sur la nécessité urgente de repenser leur approche.
Des tactiques djihadistes en mutation
Selon les gouverneurs, la résurgence des violences s’accompagne d’une évolution inquiétante des modes opératoires des groupes armés. L’usage de drones par les insurgés a été observé dans certaines zones rurales, tout comme le retour en force des engins explosifs improvisés (EEI), notamment placés le long des routes principales. Le 29 avril, une attaque particulièrement meurtrière a frappé l’État de Borno : un minibus transportant des civils a sauté sur une mine artisanale, tuant 26 personnes sur le coup.
Ce drame illustre la capacité de nuisance toujours intacte des groupes djihadistes, malgré les nombreuses offensives militaires menées contre leurs bases. Après des années de repli forcé, notamment autour du lac Tchad et dans la forêt de Sambisa, Boko Haram et l’ISWAP semblent avoir retrouvé un certain souffle et bénéficieraient de nouvelles sources d’approvisionnement, selon des sources sécuritaires.
Un appel à une stratégie plus globale
Dans leur communiqué, les gouverneurs du Nord-Est ne se contentent pas de réclamer un renforcement militaire. Ils appellent à une « approche multidimensionnelle » de la crise sécuritaire. « L’insécurité ne peut être vaincue uniquement par la force », affirment-ils, en insistant sur la nécessité de s’attaquer aux causes profondes du radicalisme : pauvreté, analphabétisme, chômage endémique des jeunes.
Ils déplorent également l’état déplorable des infrastructures routières dans leurs États, qui non seulement freine le développement économique, mais complique aussi les opérations de secours et les déplacements sécurisés. L’abandon de certains projets d’infrastructure, pourtant essentiels pour désenclaver les communautés rurales, est pointé du doigt comme un facteur aggravant.
Le retrait du Niger : un coup dur pour la coopération régionale
Bien qu’absente du communiqué officiel, une autre préoccupation pèse sur la sécurité de la région : l’affaiblissement de la Force multinationale mixte (FMM), une coalition militaire régionale regroupant le Nigeria, le Tchad, le Cameroun et le Niger. Depuis le retrait du Niger en mars dernier — conséquence du durcissement de la politique étrangère du régime militaire au pouvoir à Niamey —, les patrouilles transfrontalières sont désorganisées et le partage de renseignements est perturbé.
Cette désunion régionale compromet sérieusement les capacités de réaction rapide face aux mouvements terroristes transnationaux, qui savent exploiter les failles de la coopération sécuritaire pour se redéployer d’un pays à l’autre.
La pression monte sur le gouvernement fédéral
Pour l’heure, le gouvernement du Président Bola Tinubu, au pouvoir depuis 2023, ne s’est pas officiellement exprimé sur les recommandations des gouverneurs. Mais la pression monte à Abuja, où les critiques se multiplient quant à l’efficacité de la stratégie sécuritaire actuelle. De nombreux analystes estiment que la situation dans le Nord-Est pourrait rapidement devenir incontrôlable si des mesures concrètes ne sont pas prises. Les populations locales, déjà éprouvées par plus de quinze ans de conflit, vivent dans la peur permanente. Dans de nombreuses zones rurales, les écoles et les centres de santé sont fermés, les marchés fonctionnent par intermittence, et des milliers de familles déplacées hésitent encore à retourner dans leurs villages d’origine.
Le message lancé par les gouverneurs du Nord-Est nigérian est clair : la spirale de la violence ne pourra être enrayée sans une réponse stratégique, coordonnée et inclusive. Si l’armée nigériane a montré sa capacité à reprendre du terrain par le passé, les défis actuels nécessitent davantage qu’une réponse militaire. Il en va de la stabilité d’une région entière, mais aussi de l’avenir du Nigeria tout entier, confronté à une menace qui transcende les frontières et les solutions ponctuelles.