RDC : Fayulu invite Tshisekedi à un dialogue urgent sur la crise sécuritaire


Lecture 5 min.
Martin Fayulu, opposant congolais
Martin Fayulu, opposant congolais

Alors que la RDC est en pleine crise sécuritaire, l’opposant Martin Fayulu a tendu, ce lundi, la main au président Félix Tshisekedi qui s’est empressé de la saisir. Une première depuis le début de cette crise qui secoue le pays.

En réponse à un appel solennel de l’opposant Martin Fayulu, le président Félix Tshisekedi s’est dit prêt pour une rencontre directe avec son rival politique, dans un geste présenté comme un effort de « patriotisme » pour préserver l’unité et l’intégrité de la RDC. Cette annonce intervient dans un contexte de délitement sécuritaire, d’urgence nationale et de pression croissante pour un dialogue inclusif.

Un appel grave et sans détour

Dans une allocution solennelle diffusée, lundi matin, sur les réseaux sociaux, Martin Fayulu a dressé un tableau sombre de la situation actuelle de la RDC, évoquant une « crise existentielle » et un « risque imminent de balkanisation ». L’opposant, président du parti Engagement pour la Citoyenneté et le Développement (ECiDé), a directement interpellé trois figures clés du paysage politique congolais : Corneille Nangaa, Joseph Kabila et Félix Tshisekedi.

S’adressant à Corneille Nangaa, ancien président de la Commission électorale nationale indépendante (CENI) et aujourd’hui coordinateur du groupe rebelle Alliance Fleuve Congo/M23, Fayulu l’a exhorté à « cesser de livrer notre sol, nos vies et nos ressources aux forces étrangères ». Il l’a accusé de complicité dans les massacres perpétrés à l’est.

L’ex-président Joseph Kabila, actuellement installé à Goma — une ville sous contrôle rebelle — a également été interpellé : « Monsieur Kabila, aucune raison, même stratégique, ne saurait justifier une collaboration avec ceux qui déchirent notre pays. Quittez Goma, cette ville martyre. L’histoire ne pardonne pas les trahisons, encore moins celles à la patrie », a lancé Fayulu.

Mais c’est au président Félix Tshisekedi que l’appel le plus direct et le plus solennel a été adressé. « Monsieur Tshisekedi, vous avez le devoir de ne pas laisser notre génération être celle qui aura vu le Congo se désintégrer. J’en appelle à un sursaut d’honneur et de responsabilité. Je veux vous voir pour une discussion directe, sans faux-semblants, afin de trouver une issue digne à cette crise existentielle », a-t-il déclaré.

Une réponse présidentielle rapide et mesurée

Quelques heures plus tard, la porte-parole du chef de l’État congolais, Tina Salama, a publié un message sur le réseau social X (anciennement Twitter), saluant « le patriotisme et le sens d’engagement pour la cohésion nationale » de Martin Fayulu. Elle a confirmé la disponibilité du Président Félix Tshisekedi à rencontrer son adversaire politique, dans ce qu’elle a qualifié de tentative pour « sauver la République de la prédation qui menace nos institutions et notre intégrité territoriale ».

Cette ouverture présidentielle intervient alors que la situation dans l’Est du pays reste particulièrement critique, avec des affrontements qui ne cessent entre les belligérants dans les provinces du Nord-Kivu et du Sud-Kivu, où le M23 contrôle de vastes territoires, y compris des centres urbains stratégiques comme Goma et Bukavu.

Le dialogue, une exigence nationale ?

Depuis plusieurs mois, des voix de plus en plus nombreuses — partis politiques d’opposition, Église catholique, Église protestante, société civile — réclament l’organisation d’un dialogue national inclusif. Celui-ci viserait à réunir toutes les forces vives du pays autour d’un pacte de refondation, face aux menaces sécuritaires, à la crise socio-économique et au blocage politique.

Mais le Président Félix Tshisekedi, jusque-là, a privilégié des consultations discrètes et sectorielles, notamment via son conseiller spécial en matière de sécurité, Eberande Kolongele. Ces démarches, largement boycottées par l’opposition, ont débouché sur une impasse : le gouvernement d’union nationale annoncé n’a toujours pas vu le jour.

Martin Fayulu, tout comme d’autres leaders de l’opposition, soutient aujourd’hui les initiatives de médiation portées par les Églises, notamment le projet de pacte social lancé conjointement par la Conférence épiscopale nationale du Congo (CENCO) et l’Église du Christ au Congo (ECC). Ce projet, mal vu par le pouvoir, est perçu comme une tentative d’immixtion du religieux dans le politique.

« Refusons la fatalité »

L’éventuelle rencontre entre Tshisekedi et Fayulu pourrait donc impulser une nouvelle dynamique aux relations entre majorité et opposition, longtemps marquées par l’hostilité, la méfiance et la contestation de la légitimité présidentielle. Rappelons que Martin Fayulu continue de considérer que l’élection présidentielle de 2018 lui a été « volée », affirmant être le « Président élu ».

Mais face à la gravité de la crise actuelle, les deux hommes semblent prêts, au moins symboliquement, à mettre de côté leurs antagonismes pour ouvrir un espace de dialogue. Reste à savoir si cette rencontre annoncée — si elle a lieu — débouchera sur un processus politique élargi ou sur une manœuvre ponctuelle de décrispation.

« Refusons la fatalité. Choisissons la patrie. Le Congo nous appelle. Le Congo nous attend. Le Congo a besoin de chacun de nous », a conclu Martin Fayulu dans une adresse presque testamentaire. Face à un pays fracturé, miné par la guerre, les divisions et la méfiance, la classe politique congolaise semble sommée de sortir de l’impasse. Le peuple, lui, attend plus qu’un dialogue de façade : un engagement sincère pour la paix, la justice et la souveraineté.

Avatar photo
Par Serge Ouitona, historien, journaliste et spécialiste des questions socio-politiques et économiques en Afrique subsaharienne.
Facebook Linkedin
Newsletter Suivez Afrik.com sur Google News