
Le couperet est tombé ce dimanche soir : à une large majorité, les députés de l’Assemblée nationale de la République démocratique du Congo ont levé l’immunité parlementaire du ministre d’État, ministre de la Justice et garde des Sceaux, Constant Mutamba, ouvrant la voie à des poursuites judiciaires pour détournement de deniers publics. Un séisme politique à quelques mois d’un remaniement gouvernemental attendu.
Le procès contre le ministre congolais de la Justice, Constant Mutamba, peut désormais s’ouvrir dans les prochains jours, le procureur général près la Cour de cassation ayant obtenu un blanc-seing de l’Assemblée nationale ce dimanche.
Une affaire de 19 millions de dollars et un projet carcéral fantôme
L’affaire porte sur un transfert de 19 millions de dollars vers une société privée, Zion Construction, dans le cadre d’un contrat de gré à gré destiné à la construction d’une prison à Kisangani, chef-lieu de la province de la Tshopo. Ce contrat, d’un montant total de 29 millions USD, aurait été exécuté sans approbation préalable de la Première ministre, et en violation manifeste des règles de passation de marchés publics. En effet, la loi congolaise limite le taux d’acompte à 30 %, or 65 % de la somme avaient déjà été décaissés.
Les soupçons de malversation ont été renforcés par le fait que la société bénéficiaire serait, selon le rapport parlementaire, une coquille vide : sans siège connu, sans personnel identifiable, sans aucune trace d’expertise avérée. Pis encore, les investigations menées à Kisangani n’ont révélé aucun site prévu pour la construction de la prison.
Le rapport adopté par la commission temporaire de l’Assemblée nationale évoque un risque avéré de détournement qui n’aurait pu être évité que grâce au gel préventif du compte bancaire de la société par la Cellule nationale de renseignement financier (CENAREF).
Une procédure inédite et un vote sans ambiguïté
C’est à huis clos que les 363 députés présents ont voté : 322 ont soutenu l’autorisation de poursuites, 29 s’y sont opposés et 12 se sont abstenus. Ce large consensus montre le poids des charges et la volonté de ne pas entraver le travail de la justice dans un pays encore marqué par les scandales de corruption à répétition. Pour la deuxième fois, en l’espace de quelques jours, l’Assemblée nationale a accédé à la requête du procureur. Une premiere fois en l’autorisant à ouvrir une procédure judiciaire à l’encontre du ministre visé. Cette fois-ci, un nouveau cap est franchi.
L’Assemblée a toutefois refusé d’examiner un second réquisitoire visant Constant Mutamba pour outrage aux corps constitués et incitation au manquement envers une autorité publique. Ce rejet, sans explication officielle, laisse planer un doute sur la portée politique de l’affaire.
Une démission attendue du garde des Sceaux
Le ministre de la Justice a vigoureusement contesté les accusations. Dans une lettre datée du 10 juin, il a récusé le procureur général, Firmin Mvonde, et son équipe, les accusant d’« inimitié manifeste » et d’acharnement. Ses proches dénoncent un « procès politique » visant à affaiblir un ministre réformateur dont les initiatives auraient dérangé certains réseaux d’influence au sein de la justice congolaise. Selon eux, aucun détournement ne peut être retenu, puisque les fonds transférés ont été gelés à temps et n’ont donc pas été utilisés par la société. Ils évoquent également des vices de procédure dans l’enquête parlementaire et dans l’instruction du parquet général.
Quelle que soit l’interprétation que les proches du ministre font de la procédure en cours, Constant Mutamba sera bien obligé de déposer le tablier. En effet, en vertu de la loi congolaise, un ministre mis en accusation est tenu de démissionner. Si le garde des Sceaux venait à refuser, c’est au président de la République qu’il reviendra de trancher, dans un contexte où la séparation des pouvoirs reste un enjeu crucial pour la consolidation démocratique en RDC.