
En RDC, le bras de fer entre le ministre de la Justice, Constant Mutamba, et le parquet général près la Cour de cassation connaît une nouvelle tournure. Au lendemain d’une tentative de récusation par le ministre du Procureur général, Firmin Mvonde Mambu, ce dernier a officiellement accusé réception de la correspondance et appelé l’homme d’État à « garder sa sérénité » dans la suite de la procédure judiciaire.
Dans une lettre transmise par son directeur de cabinet, le Procureur général informe le ministre de la Justice que l’instruction pré-juridictionnelle est désormais clôturée dans l’affaire où il est poursuivi pour le détournement présumé de 19 millions de dollars américains. Ces fonds étaient initialement destinés à la construction d’une prison moderne à Kisangani, un projet stratégique resté à l’arrêt. « L’instruction pré-juridictionnelle dans la cause où vous êtes poursuivi pour détournement des deniers publics est clôturée en ce qui vous concerne », précise le courrier, qui souligne également que le parquet n’entend se conformer qu’au « prescrit légal, en dehors de toute autre considération ».
Une récusation perçue comme une tentative d’obstruction
L’absence du ministre à sa troisième convocation au parquet, suivie 24 heures plus tard de sa lettre contestant l’impartialité de l’ensemble des magistrats du parquet général, a suscité de vives réactions. Constant Mutamba reproche au Procureur Mvonde et à ses collaborateurs un manque de neutralité et une inimitié manifeste, réclamant que son dossier soit confié à une autre équipe, « indépendante ».
Cette manœuvre est perçue dans les milieux judiciaires comme une tentative de blocage de la procédure, alors même que le parquet, s’estimant en possession d’« indices sérieux de culpabilité », a saisi l’Assemblée nationale pour obtenir une autorisation de poursuite.
L’Assemblée nationale au cœur de la suite judiciaire
La balle est désormais dans le camp du Parlement. Saisie pour la deuxième fois en moins d’un mois, l’Assemblée nationale doit se prononcer sur la levée de l’immunité de Constant Mutamba, condition nécessaire à l’engagement de poursuites pénales contre un membre du gouvernement.
Le dossier prend une tournure politique et institutionnelle inédite : il implique le ministre chargé justement de veiller au bon fonctionnement de l’appareil judiciaire. Cette situation pose de sérieuses questions sur l’indépendance des institutions et la séparation des pouvoirs dans un contexte où la lutte contre la corruption est un engagement central des autorités.
Un projet à l’arrêt, des victimes en attente
Outre l’aspect judiciaire, l’affaire soulève un scandale politique de premier plan. Les 19 millions de dollars détournés selon le Parquet devaient servir à désengorger le système pénitentiaire national. Le chantier de Kisangani, censé accueillir un établissement pénitentiaire moderne, est aujourd’hui gelé. Par ailleurs, une partie de ces fonds était destinée à l’indemnisation des victimes de la guerre des Six Jours, un engagement de l’État congolais envers les habitants de la Tshopo, longtemps marginalisés.
Le silence du ministre sur le fond du dossier, couplé à ses attaques contre le parquet, laisse planer le doute sur sa volonté réelle de coopérer avec la justice.