RDC : attaque du Palais de la Nation, confusion totale à Kinshasa


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Palais de la Nation
Le Palais de la Nation à La Gombe, Kinshasa. A l'horizon, Brazzaville

Difficile de comprendre ce qui a pu se passer, en ce dimanche de Pentecôte, au Palais de la Nation, résidence et bureaux du Président de la RDC, peu avant l’aube… Attaque en règle et tentative de Coup d’État ? Ou parodie de coup de force rebelle, visant à légitimer un nouvel épisode de répression politique de la part du pouvoir en place? Toujours est-il que du témoignage de l’épouse de Vital Kamerhe, vice-président du pays et probable futur président de l’Assemblée Nationale, il ressort qu’une attaque a pris pour cible son domicile, aux alentours de cinq heures du matin, faisant deux morts parmi les gardes qui le défendaient, un mort vraisemblablement aussi du côté des assaillants. Puis des vidéos qui circulent sur les réseaux sociaux montrent les assaillants remplacer les drapeaux de la RDC par les anciens drapeaux du Zaïre en proclamant « vive le Zaïre » et en envahissant le bureau du Président Félix Tshisekedi dans le Palais de la Nation, nom porté par les bâtiments qui abritent depuis Mobutu la Présidence de la RDC…

Réveil brutal à La Gombe, et plus précisément au Palais de la Nation, supposément le lieu le plus protégé de la République démocratique du Congo, le Saint des Saints, le siège et la résidence des plus hautes autorités politiques congolaises.  Des tirs d’armes automatiques se fracassent d’abord contre les vitres et la façade de la résidence de Vital Kamerhe, actuel vice-président et désigné par Félix Tshisekedi comme le putatif président de l’Assemblée nationale dans quelques jours. Dans son témoignage publié plus tard dans la journée sur ses réseaux sociaux, l’épouse de Vital Kamerhe évoque l’horreur de cet assaut prolongé, plusieurs dizaines de minutes pendant lesquelles ils ont cru leur dernière heure arrivée.  

L’Ambassadeur du Japon aux premières loges

Témoins tragiques de ces événements : deux défenseurs du vice-président, gardiens ou militaires, qui ont laissé leur vie pour protéger la sienne, face à un commando lourdement armé revêtu des uniformes des Forces Armées de la RDC (FARDC). Premier témoignage sur les événements : celui de l’Ambassadeur du Japon, dont la résidence est voisine, et qui livre à 6h24 du matin le premier bilan de l’attaque à l’orée du jour, tandis que l’Ambassade de France, non loin, entend les tirs d’armes automatiques et dans l’éventualité d’un Coup d’État recommande elle aussi à ses ressortissants de ne pas circuler à La Gombe. 

Vital Kamerhe, un atout maître dans le jeu de Tshisekedi

Il faut comprendre que Vital Kamerhe joue un rôle essentiel dans le jeu politique complexe de la RDC aujourd’hui : c’est l’un des rares alliés de Félix Tshisekedi qui soit originaire et représente politiquement l’Est du pays, emporté dans la rébellion de l’Alliance Fleuve Congo qui inclut désormais les militaires du M23 et grignote petit à petit le Kivu. Il constitue une pièce maîtresse dans la légitimation d’un président dont l’assise politique s’est drastiquement réduite sur le seul Kasaï, suite aux dernières élections, dont personne en RDC ne reconnaît sérieusement les résultats. 

Un commando armé s’empare du bureau… du Chef de l’État !

Alors à quoi correspond l’irruption de ce commando de putschistes au coeur du « quartier réservé » que constitue le Palais de la Nation, où nul normalement ne pénètre sans contrôle ? Les forces de sécurité qui en gardent l’accès étaient-elles endormies? Ont-elles été subornées? Ou enfin étaient-elles complices des assaillants? Incrédules les Congolais spéculent et se perdent en conjectures, d’autant que des éléments troublants s’accumulent : «Une tentative de coup d’Etat a été étouffée dans l’œuf par les forces de défense et de sécurité», déclare ainsi dans la matinée le général Sylvain Ekenge, porte-parole des Forces armées de la RDC, dans un court message à la télévision nationale. «Cette tentative a impliqué des étrangers et des Congolais» qui ont «tous été mis hors d’état de nuire, leur chef y compris». Bizarre coup d’État visant non le numéro 1 mais le numéro 2 de l’État… 

Sauf qu’en fait les assaillants s’en sont pris à une seconde cible : le Palais de la Nation lui-même, et le bureau du Président Tshisékédi, investi aisément et sans résistance aucune, qu’ils pavoisent de drapeau de l’ancien Zaïre, en proclamant que la RDC a vécu, dans une sorte d’élan de nostalgie mobutiste… L’attaque contre le domicile de Vital Kamerhe n’était-elle qu’une diversion tragique? Mais comment la fusillade qui a réveillé les diplomates japonais et français n’a-t-elle pas donné l’alerte aux soldats qui assurent normalement la sécurité du Palais? Toujours est-il que c’est seulement après que la Présidence eut été investie que la Garde Républicaine intervient, et reprend le contrôle de la situation, après avoir abattu le chef du commando, identité comme « un certain Christian Malanga, Congolais naturalisé américain » et trois autres « putschistes ». Outre Christian Malanga, ancien militaire installé aux Etats-Unis et homme d’affaires, récemment revenu en RDC « il y a son fils, qui s’appelle Marcel Malanga, ajoute le porte-parole des FARDC et « il y a deux autres sujets Américains, des blancs « …« Nous avons aussi un sujet naturalisé britannique, le numéro 2 du groupe ». 

Un certain Christian Malanga…

Les rumeurs se multiplient dans la journée, faisant état du fait que Christian Malanga serait passé par Brazzaville, capitale voisine, avant de rentrer à Kinshasa, et qu’il aurait été également reçu ces derniers jours par le Cardinal Archevêque de Kinshasa. Sa présence dans la capitale de la RDC n’était donc pas ignorée, ni même dissimulée. Comment expliquer cette brusque équipée, et la présence d’autant d’étrangers dans cette aventure? Comment expliquer surtout que le commando, certes déguisé en soldats des FARDC, ait pu aussi aisément circuler à l’intérieur de ce quartier réservé et hautement sécurisé de La Gombe, pour pénétrer au coeur symbolique du pouvoir exécutif congolais, dans le bureau du Chef de l’État, au centre du Palais de la Nation? 

Un obus tiré de Kinshasa frappe « malencontreusement » Brazzaville?

Plus tard dans la matinée, un communiqué du Gouvernement de la République voisine du Congo fait état du fait qu’un obus est « malencontreusement » tombé à Brazzaville, capitale toute voisine de la République du Congo, tiré depuis Kinshasa, de l’autre côté du fleuve. Le lien entre les deux événements n’est pas évident, mais le fait mérite d’être signalé, car inédit. Une manière mettre en garde Brazzaville contre toute implication dans un éventuel putsch à Kinshasa? 

Après le récent épisode rocambolesque de la disparition du Président Tshisékédi pendant une semaine, qui avait défrayé la chronique, et qui était une véritable mesure de protection contre un putsch redouté contre sa personne, instamment demandée par le vice-président et ministre de La Défense Jean-Pierre Bemba, que ses informateurs avaient averti de l’imminence d’une attaque contre le Chef de l’Etat, la mortelle équipée de Christian Malanga et de sa petite troupe au coeur de La Gombe est un deuxième indice de la fragilité actuelle des institutions républicaines de la RDC.

Comme l’indiquait ce jour sous couvert d’anonymat un haut diplomate occidental à Kinshasa : « le bateau semble partir à la dérive, comme si personne ne tenait le gouvernail, ou comme si des forces politiques étaient à l’oeuvre de manière invisible pour bloquer les institutions et empêcher leur fonctionnement normal : il y a deux Premiers Ministres en même temps, mais plus de gouvernement en place depuis décembre, le Chef de l’État est toujours en voyage, les factions se déchirent sans que l’Assemblée puisse s’organiser et délibérer, six mois après l’élection, et la guerre à l’Est semble sans issue. » 

Tout ceci résonne comme un avertissement sanglant au pouvoir sans partage que tente d’imposer Félix Tshisékédi : s’il ne parvient pas à engager rapidement un véritable dialogue politique avec l’ensemble des forces en présence en RDC, incluant les représentants de toutes les provinces, la République démocratique du Congo pourrait bien être sur la voie de l’éclatement. Le message est clair : en s’isolant dans une Tour d’Ivoire, le président congolais pourrait bien prendre la direction du cimetière des Éléphants…

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