RDC : analyse : qu’est-ce que l’AFC? 


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Corneille Nangaa
Corneille Nangaa en interview

L’AFC est une plateforme politico-militaire dénommée “ALLIANCE FLEUVE CONGO” (AFC) qui a été créée à Nairobi le 15 décembre 2023. La déclaration de lancement officiel lue à l’hôtel Serena était intitulée : “Appel à l’Unité nationale pour la Stabilité de la République Démocratique du Congo” par son Coordonnateur, Monsieur Corneille NANGAA YOBELUO, ancien président de la Commission Électorale Nationale Indépendante de la République Démocratique du Congo (CENI) et président du parti politique “Action pour la Dignité du Congo et de son Peuple “ (ADCP). Un Acte Constitutif ainsi qu’un procès-verbal du Conseil de l’Alliance constituent les premiers Actes fondateurs de l’organisation. Il paraît aujourd’hui utile d’analyser les termes mêmes de ces documents fondateurs. 

A la lecture de ces textes de référence, une remarque s’impose : la démarche fondatrice de l’AFC est inclusive, ouverte, et pacifique, en ce qu’elle vise à unifier les différentes forces politiques qui refusent la manipulation des élections présidentielles et législatives qui se sont déroulées dans le chaos en RDC pendant une semaine, du 20 au 27 décembre 2023. 

Ces forces politiques réunies représentent la diversité des oppositions à la fois armées et non armées qui se sont levées en constatant par avance la forfaiture électorale qui se préparait, et qui s’est réalisée. L’objectif affiché de l’AFC est de mettre fin aux conflits meurtriers qui divisent depuis trop longtemps la République Démocratique du Congo en prenant en compte pour la première fois les attentes des minorités et des populations opprimées ainsi que les causes profondes de cette instabilité chronique telle la mauvaise qualité de gouvernance à la base, le tribalisme, la corruption etc.. 

La personnalité de Corneille NANGAA est la clef de voûte d’une structure d’union nationale, parce qu’il a réussi par le passé à mener à bien en sa qualité d’organisateur électoral, la seule alternance démocratique paisible et consensuelle qu’ait connue la RDC depuis son indépendance. 

Dans cet esprit, l’Alliance Fleuve Congo (AFC) réunit à la fois partis et regroupements politiques, mouvements politico-militaires et groupes d’autodéfense de différentes régions, mouvements associatifs, et des plateformes de la Diaspora congolaise.

Le caractère profondément novateur de l’AFC, à la différence des nombreux mouvements qui l’ont précédée, s’exprime dans la large diversité des acteurs qui se sont rangés sous sa bannière, avec pour intention de mettre un terme aux divisions et aux conflits internes qui freinent la dynamique à la fois économique et sociale de la RDC. 

La République Démocratique du Congo est un grand pays, qui doit devenir un pôle de stabilité et de prospérité au cœur de l’Afrique, au lieu d’alimenter la chronique de ses malheurs en faisant croire à la fatalité de divisions endémiques, au risque de déclencher une guerre régionale dévastatrice dans une région des Grands Lacs qui a connu les pires atrocités dont celles de 1994 au Rwanda et en RDC plus tard. 

Quels sont les objectifs exprimés par l’AFC? 

Ces objectifs sont avant tout politiques, et concernent l’ensemble de la nation congolaise : retour à l’ordre constitutionnel par l’annulation des résultats non crédibles des élections de décembre 2023, rétablissement de la normalité démocratique avec l’organisation d’élections fiables et régulières, résolution définitive et durable de la problématique de l’insécurité dans les provinces frontalières afin de protéger les populations congolaises dans leur diversité, sans donner à telle ou telle région une position de domination injustifiée, pacification du pays par l’unification des peuples qui le composent par la restauration de la stabilité civique et sociale, à travers une véritable démarche de réconciliation nationale. 

Le moyen d’atteindre ces objectifs? Une décrispation du climat politique  durable par une prise en compte de la diversité des aspirations régionales, passant notamment par l’instauration d’un fédéralisme budgétaire, dans une logique moderne de subsidiarité afin de rapprocher les décisions budgétaires des citoyens et de leurs besoins réels.

Pourquoi des groupes armés au sein d’un mouvement politique ? 

La réalité de la situation sécuritaire de la RDC ne peut pas être méconnue pour construire son avenir politique. Environ 300 groupes armés locaux et étrangers sont présents et actifs dans les cinq provinces de l’est de la République Démocratique du Congo, d’autres agissent à l’ouest et au sud du pays. Cette situation de fait expose le plus vaste pays d’Afrique à des risques structurels d’explosion et empêche son développement. Toute démarche de réconciliation doit partir de ce constat pour reconstruire l’unité, telle est la logique dans laquelle se sont placés Corneille Nangaa et les divers acteurs qui l’ont rejoint ou le rejoignent actuellement. 

La conviction exprimée par l’AFC est que la légitimité du pouvoir politique est la seule voie qui permette l’acceptation de l’autorité d’un État parce que les citoyens en acceptent alors les règles du jeu et les contraintes. Cette démarche de refondation de la légitimité politique est la condition nécessaire de la construction d’une paix civile durable. 

L’absence de légitimité de l’autorité politique autorise à l’inverse n’importe quelle rébellion, et c’est précisément la situation dans laquelle la RDC est aujourd’hui plongée par un inacceptable coup d’Etat institutionnel, perpétré au vu et au su de tous les citoyens de RDC, à la stupéfaction de la Communauté internationale, qui pour la première fois a exprimé ouvertement ses doutes profonds sur le déroulement et l’issue de la parodie de scrutin organisée en décembre 2023. 

La symbolique du fleuve Congo

Le fleuve Congo et ses grands affluents constituent le plus beau réseau navigable d’Afrique et une voie de liaison de premier ordre entre les États qu’il traverse. Il est le symbole de l’unité nationale de la RDC, et scelle la concorde et le vivre-ensemble entre les populations riveraines ainsi que la sérénité régionale du bassin éponyme qui irrigue l’espace central africain. Le fleuve Congo est source de vie (l’eau, ses ressources alimentaires, l’irrigation), mais aussi de richesse et d’ouverture vers le monde par le transport et les échanges. Levier de développement, il stabilise le sous-sol et revigore les ressources minérales faisant de la RDC un milieu naturel idéal où les investisseurs du monde entier pourront s’installer et travailler pour le développement du pays. Plus encore, le fleuve Congo, par sa puissance et l’énergie qu’il déploie et recèle, constitue un symbole universellement connu, l’image d’un éden nourricier. Rien d’étonnant donc à ce que le fleuve Congo soit central dans la dénomination de l’Alliance. 

En outre, si l’on se tourne vers l’avenir global, le Congo est aussi un symbole fort : c’est un gage de développement durable pour la planète et une référence du combat mondial contre le réchauffement climatique, qui est aujourd’hui l’un des plus grands dangers qui pèsent sur le monde et sur l’Afrique en particulier. Le bassin du Congo est un enjeu écologique mondial qui dépasse même la RDC et dont la RDC est aussi comptable. 

Le symbole du Fleuve Congo est le symbole éternel de l’alliance de l’homme et de son milieu naturel, la terre. Il doit porter les populations de RDC dans une logique de cohésion et de respect mutuel, dans une logique de paix, tournée vers un avenir commun. C’est très exactement la philosophie que revendique dans ses documents fondateurs l’Alliance Fleuve Congo. 

Enfin à en juger par les déclarations de ses responsables, comme Jean-Jacques Mamba lors de sa conférence de presse tenue à Bruxelles le 26 février 2024, le terme « alliance » exprime à la fois un moyen et un objectif : d’abord le moyen de faire entendre la diversité contre la forfaiture, le repli identitaire et l’ethnocentrisme, pour rétablir la légitimité au cœur de l’État et de la Nation congolaise. Mais c’est aussi et surtout un objectif qui décline des valeurs fondamentales : conduire la coexistence harmonieuse des cultures, des mœurs et des religions, assurer l’éducation à la citoyenneté, respecter l’égalité de tous devant la Constitution et les lois du pays, protéger contre l’arbitraire, le meurtre et l’impunité, garantir le droit de tous et de chacun à la nationalité, à la terre, aux richesses et aux responsabilités politiques, administratives, économiques et culturelles et ce, à tous les niveaux, locaux et nationaux, pénaliser toute forme de discrimination, en particulier sur l’origine, l’ethnie, la classe sociale.

Telles qu’elles s’expriment, les valeurs de l’AFC paraissent donc de nature à rassembler largement les forces politiques congolaises, et expriment l’inverse des positions habituellement prêtées aux mouvements politiques qui veulent “faire table rase du passé” : il s’agit en effet de l’expression d’une révolution qui se revendique “constitutionnelle”, civique, collective, visant à restaurer l’unité d’une nation et la confiance en ses institutions. Dans la vieille distinction politique maurrassienne entre l’État légal et l’État réel, l’objectif qu’affiche l’AFC est le rapprochement des deux concepts, pour répondre à l’État illégal qui s’instaure, au mépris de la Nation, après un “coup d’État constitutionnel” tel que celui qu’a vécu la RDC en décembre 2023. 

Est-ce une base nouvelle pour un dialogue politique inclusif ? Tel est l’objectif assumé, et il faut peut-être souhaiter que cette main tendue ne soit pas ignorée ou méprisée aujourd’hui, pour ne pas laisser libre cours aux armes. 

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