
Alors que la RDC s’apprête à retrouver un siège non permanent au Conseil de sécurité de l’ONU, une première depuis plus de trois décennies, le pays traverse une grave crise politique et sécuritaire. Le retour controversé de Joseph Kabila à Goma, en pleine zone rebelle, ravive les tensions internes, tandis que Kinshasa cherche à renforcer sa voix sur la scène internationale. Entre ambitions diplomatiques et instabilité interne, le Congo se trouve à un tournant décisif de son histoire.
Le 3 juin 2025, l’Assemblée générale des Nations unies se réunit à New York pour élire les membres non permanents du Conseil de sécurité pour la période 2026-2027. La République démocratique du Congo (RDC) et le Liberia sont candidats aux deux sièges attribués à l’Afrique. Appuyée par l’Union africaine, la candidature congolaise semble bien engagée, marquant un retour au Conseil pour la première fois depuis 1992. Cette initiative diplomatique survient dans un contexte national tendu, où les autorités congolaises veulent faire entendre leur voix face aux nombreuses crises sécuritaires internes, notamment dans l’Est du pays.
Kabila soupçonné de collusion avec les rebelles
La RDC met en avant son expérience dans la gestion des conflits et sa volonté de coopération. Pour les autorités, ce siège permettra aussi de mieux défendre la cause d’un pays confronté à des agressions extérieures et à l’instabilité, en particulier avec les tensions persistantes autour de la présence du groupe rebelle M23 soutenu par le Rwanda.
Parallèlement à cette démarche internationale, le paysage politique congolais est secoué par le retour remarqué de l’ancien président Joseph Kabila à Goma, une ville sous contrôle du M23. Installé dans cette région sensible, Kabila multiplie les rencontres avec les forces vives locales, notamment Corneille Nangaa, ancien président de la CENI et aujourd’hui coordinateur politique du M23/AFC. Cette rencontre a suscité une vive réaction dans l’opinion publique, compte tenu du contexte : Kabila est désormais soupçonné de collusion avec les rebelles et fait l’objet de poursuites potentielles, le Sénat ayant levé son immunité parlementaire.
Les accusations de Kabila contre Tshisekedi
Officiellement, Kabila affirme vouloir « s’imprégner de la situation locale », mais son silence sur les exactions du M23, y compris lors de sa récente intervention publique, alimente les critiques. Il y a présenté un « pacte citoyen » en douze points, critiquant sévèrement la gouvernance de Félix Tshisekedi, qu’il accuse d’autoritarisme, de corruption et de mauvaise gestion des affaires publiques. Toutefois, il n’a pas condamné les violences commises par les rebelles ni exprimé de solidarité envers les victimes, ce qui alimente les soupçons sur ses véritables intentions.
La société civile, à l’image de Jean-Claude Katende de l’ASADHO, dénonce cette posture ambiguë. Pour lui, l’absence de condamnation des crimes du M23 remet en question la sincérité de l’action de Kabila. Il craint que ce retour à Goma ne soit qu’un calcul politique destiné à regagner une place centrale dans le jeu politique congolais, au risque d’aggraver les tensions dans une région déjà ravagée par la guerre.
Main tendue de Martin Fayulu au Président Tshisekedi
Dans ce climat tendu, une rare initiative de dialogue politique a émergé : Martin Fayulu, opposant historique et président de l’ECiDé, a tendu la main au Président Tshisekedi pour une rencontre directe. Dans un discours solennel, il a dénoncé la « balkanisation » en cours du pays et appelé à un sursaut patriotique. Il a également vivement critiqué Corneille Nangaa et Joseph Kabila, les exhortant à cesser toute collaboration avec les groupes armés. À Tshisekedi, Fayulu a demandé un dialogue franc, pour tenter de sortir de la crise « existentielle » que traverse la RDC.
La réponse du président ne s’est pas fait attendre. Par la voix de sa porte-parole, Félix Tshisekedi s’est dit disposé à rencontrer Fayulu, saluant son « sens du patriotisme ». Cette volonté de dialogue survient alors que les combats dans l’Est du pays s’intensifient, notamment dans le Nord-Kivu et le Sud-Kivu, où le M23 continue de contrôler plusieurs territoires. Ce contexte d’urgence pousse une partie de la société congolaise à réclamer un dialogue national inclusif, appuyé notamment par les Églises catholique et protestante à travers un projet de « pacte de refondation nationale ».
Cri d’alarme de l’UNICEF sur la crise éducative
Mais jusqu’à présent, les tentatives de Tshisekedi se sont heurtées à la méfiance de l’opposition. Le gouvernement d’union nationale, promis depuis plusieurs mois, n’a pas encore vu le jour. Une rencontre entre les deux leaders pourrait amorcer une nouvelle dynamique ou rester symbolique. L’ampleur des défis exige toutefois un véritable engagement politique, au-delà des gesticulations.
Par ailleurs, alors que les projecteurs sont braqués sur la politique et la diplomatie, une tragédie silencieuse se déroule dans l’Est du pays, notamment en Ituri. L’UNICEF a lancé un cri d’alarme sur la crise éducative qui frappe plus d’un million d’enfants dans cette province. En raison des violences armées et intercommunautaires, plus de 290 écoles ont été détruites ou endommagées depuis le début de l’année. Ce sont plus de 1,3 million d’enfants qui se retrouvent déscolarisés en Ituri, et 1,8 million dans toute la région Est, ce qui représente une génération entière menacée de désocialisation, de pauvreté et de recrutement par les groupes armés.
57 millions de dollars nécessaires pour faire face à la crise
Le rapport de l’UNICEF souligne aussi une hausse alarmante des violations graves des droits de l’enfant, en particulier les violences sexuelles, les enlèvements et le recrutement d’enfants-soldats. Parallèlement, la malnutrition chronique touche plus de la moitié des enfants de moins de cinq ans. Malgré les efforts humanitaires, le financement reste dramatiquement insuffisant : sur les 57 millions de dollars nécessaires, seuls 22 millions ont été collectés à ce jour.
Dans les camps de déplacés, des enseignants bénévoles essaient d’organiser une éducation informelle, mais l’absence d’infrastructures et de moyens limite leur portée. Cette crise humanitaire oubliée, aggravée par l’indifférence internationale, pose une menace à long terme pour la stabilité de la RDC.