
La province de l’Ituri, dans l’Est de la République Démocratique du Congo (RDC), s’enfonce un peu plus chaque jour dans une crise silencieuse, ravageuse et largement oubliée : celle de l’éducation. Alors que les combats entre groupes armés et les violences intercommunautaires s’intensifient, ce sont les enfants qui paient le plus lourd tribut. Plus d’un million d’entre eux sont aujourd’hui privés d’école, selon les chiffres alarmants publiés, ce 30 mai, par le Fonds des Nations Unies pour l’enfance (UNICEF).
En Ituri, l’une des provinces situées dans cette partie orientale de la RDC en proie à une crise sécuritaire sans fin, la scolarisation des enfants est à la peine. Au point où l’UNICEF a tiré, ce vendredi, la sonnette d’alarme. Selon les chiffres publiés par cette institution spécialisée des Nations unies, plus de 1,3 million d’enfants sont actuellement déscolarisés en Ituri. Parmi eux, environ 130.000 ont été privés d’accès à l’école cette année uniquement, en raison de la destruction ou de l’endommagement de plus de 290 établissements scolaires. Une situation qui fait planer un grave risque de désocialisation et de violences accrues sur une génération entière.
L’éducation, première victime du conflit
La flambée de violence entre groupes armés et communautés locales, combinée à la faiblesse de la présence de l’État, a provoqué entre janvier et avril 2025 le déplacement de plus de 100.000 personnes, dont la moitié sont des enfants. Pour beaucoup, l’école est désormais un souvenir lointain. « La violence et le conflit sont en train de briser le droit des enfants à apprendre, ce qui leur fait courir un risque bien plus grand d’être recrutés par des groupes armés, d’être exploités et de subir des mauvais traitements », alerte John Agbor, représentant de l’UNICEF en RDC, cité par le rapport.
Les chiffres sont glaçants. Selon l’agence onusienne, les violations graves des droits de l’enfant – enlèvements, mutilations, violences sexuelles, recrutement d’enfants-soldats – ont augmenté de 32 % par rapport à l’an dernier. En toile de fond, l’impunité règne, et les autorités provinciales comme nationales peinent à restaurer l’ordre ou à garantir des services de base.
Une crise de protection et d’éducation
L’Ituri n’est pas un cas isolé. Dans tout l’est de la RDC – englobant également les provinces du Nord-Kivu, du Sud-Kivu et du Tanganyika – le nombre total d’enfants déscolarisés du fait du conflit dépasse désormais 1,8 million. Les attaques ciblées contre les écoles et les enseignants ont transformé des lieux d’apprentissage en champs de ruines, voire en bases pour groupes armés.
La petite enfance est particulièrement touchée. Seuls 4 % des enfants âgés de 3 à 5 ans en Ituri ont accès à une éducation préscolaire, privant ainsi la majorité d’un socle éducatif essentiel pour leur développement futur, selon le rapport. « Depuis le début, nous appelons la crise dans l’est de la RDC une crise de protection. Mais, il est évident qu’il s’agit aussi d’une situation d’urgence en matière d’éducation », insiste John Agbor.
L’autre fléau : la faim
À cette situation déjà dramatique s’ajoute la malnutrition chronique. En Ituri, plus de la moitié des enfants de moins de cinq ans souffrent de malnutrition. En 2024, près de 19.000 enfants atteints de malnutrition aiguë sévère ont été pris en charge par l’UNICEF. Pour 2025, l’objectif est d’en aider 40.000, mais seulement un tiers des zones de santé disposent aujourd’hui de services de nutrition fonctionnels, faute de financements.
Ce manque de ressources menace gravement la réponse humanitaire. Sur les 57 millions de dollars nécessaires pour couvrir les besoins éducatifs et nutritionnels dans l’Est du pays, l’UNICEF n’a reçu que 22 millions à ce jour. Une lacune qui pourrait coûter la vie à des milliers d’enfants et hypothéquer irrémédiablement l’avenir de toute une génération.
Silence et abandon
Dans les camps de déplacés comme celui de Bunia ou Mahagi, les enseignants bénévoles tentent tant bien que mal d’organiser des cours informels. Mais sans infrastructures, sans manuels, sans soutien institutionnel, leur action reste marginale. Certains enfants n’ont jamais vu un tableau noir de leur vie.
Le silence des bailleurs internationaux face à cette crise humanitaire prolongée interroge. Tandis que l’attention mondiale se tourne vers d’autres conflits – Ukraine, Gaza –, les enfants de l’Ituri sont les oubliés d’une guerre sans fin, prisonniers d’un cycle de violences, de pauvreté et de désespoir. Le drame, c’est que ce ne sont pas seulement des infrastructures scolaires qui tombent sous les balles : c’est l’avenir d’une génération entière qui est en train de s’effondrer. Sans école, sans soins, sans sécurité, ces enfants sont condamnés à grandir dans la peur, la faim et l’ignorance.