Quand Pretoria dit non : l’Afrique n’est pas la poubelle migratoire des États-Unis


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Migrants clandestins
Des migrants clandestins

L’arrivée en Eswatini de cinq criminels étrangers expulsés par les États-Unis provoque un malaise croissant en Afrique australe. Ces individus, reconnus coupables de viols ou de meurtres, ont été renvoyés vers ce petit royaume d’Afrique sans aucun lien géographique ou culturel avec eux, en vertu d’un décret américain datant de l’administration Trump. L’Afrique du Sud, puissance régionale, tire aujourd’hui la sonnette d’alarme : ce n’est pas seulement une question de sécurité, mais une affaire de dignité, de souveraineté et de justice internationale.

Les États-Unis continuent de ventiler dans des pays africains les migrants indésirables sur leur sol. La dernière opération en date est l’expulsion vers l’Eswatini de cinq criminels étrangers. Car derrière cette opération discrète, mais aux conséquences explosives, se dessine une politique américaine brutale et cynique : externaliser les déchets de son système carcéral vers des États africains fragiles, sans aucune considération pour leur stabilité, leur sécurité ou leur capacité d’accueil. Pire encore, ces pratiques semblent être en voie de normalisation. Après l’Eswatini, le Rwanda, puis le Soudan du Sud… À qui le tour ? Et jusqu’où les États-Unis iront-ils pour se délester de leurs « indésirables » ?

L’Afrique du Sud, seule voix lucide dans un concert de soumissions

Le communiqué officiel de Pretoria a le mérite d’être clair : cette décision américaine est irresponsable et dangereuse. Le porte-parole du Département des relations internationales, Crispin Phiri, exprime l’inquiétude légitime du gouvernement sud-africain face au « profil de ces individus » et à la menace sécuritaire directe que représente leur proximité. Car la réalité géographique est implacable : la frontière entre l’Eswatini et l’Afrique du Sud est poreuse, les flux de personnes sont constants, et il est naïf de croire que ces criminels resteront longtemps confinés dans les prisons du royaume. Il en va de la sécurité de toute la région.

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Plus encore, l’Afrique du Sud dénonce une injustice structurelle : pourquoi l’Afrique devrait-elle accueillir des criminels qui n’ont commis aucun acte sur son sol ? Quelle est la logique morale, juridique ou humanitaire qui autorise une telle transgression des principes de souveraineté ? En vérité, il n’y en a aucune. Il ne s’agit que de rapports de force, d’intérêts déguisés, et d’une arrogance post-coloniale dont Washington ne semble jamais vouloir se départir.

Une politique migratoire à deux vitesses, profondément raciste

Le traitement réservé aux migrants africains par les États-Unis est révélateur d’un racisme systémique qui ne dit pas son nom. Pendant que des enfants mexicains sont séparés de leurs familles à la frontière sud, les migrants africains sont, eux, expulsés sans ménagement vers des États qui n’ont rien demandé, parfois même sans que leur nationalité ne soit confirmée. Le cas du Soudan du Sud, prêt à accueillir des expulsés majoritairement non-sud-soudanais en échange de faveurs politiques, est tout simplement indécent.

À travers ces pratiques, les États-Unis transforment les migrants en monnaie d’échange diplomatique. Ceux qui ont fui la guerre, la misère ou la dictature deviennent des pions dans un jeu géopolitique glaçant. Ce ne sont plus des êtres humains, mais des « charges » dont il faut se débarrasser au plus vite. Et quoi de plus pratique que de les envoyer vers un continent qui, selon Donald Trump lui-même, ne serait qu’un « trou à rats » ? Cette vision de l’Afrique comme dépotoir à ciel ouvert est non seulement insupportable, elle est dangereuse.

L’Eswatini, le Rwanda, le Soudan du Sud : complices ou victimes ?

L’Eswatini, en acceptant l’arrivée de ces criminels, fait preuve d’un aveuglement diplomatique préoccupant. Si certains soupçonnent une compensation financière ou politique, le royaume joue avec le feu. Accepter d’être le réceptacle de la violence étrangère revient à compromettre sa propre stabilité et celle de ses voisins. Le Rwanda, de son côté, tente d’enrober son accord avec Washington sous une rhétorique humanitaire douteuse. Offrir un « accueil digne » à 250 expulsés américains ? À quel prix ?

Dans un pays où la presse est muselée, l’opposition réprimée, et où aucune voix indépendante ne pourra évaluer le traitement réel réservé à ces migrants, l’argument humanitaire ne tient pas. Le Rwanda n’est pas un sanctuaire ; il est devenu un sous-traitant docile de la politique migratoire occidentale. Quant au Soudan du Sud, son comportement frise le ridicule diplomatique. Proposer d’accueillir davantage de migrants expulsés en échange d’une levée de sanctions ou d’un soutien politique contre le Vice-président Riek Machar montre à quel point certains régimes sont prêts à troquer la dignité de leur peuple contre quelques miettes d’intérêt personnel.

L’Afrique ne sera jamais la décharge migratoire de l’Amérique

Heureusement, des pays comme l’Afrique du Sud ou le Nigeria refusent cette logique de soumission. Pretoria rappelle aux puissances occidentales que l’Afrique n’est pas un paillasson, ni une zone de stockage pour les indésirables du Nord. Le Nigeria, lui, a déjà exprimé son refus clair de participer à cette mascarade. Même l’Union africaine commence, timidement, à dénoncer ces pratiques inacceptables.  Il est temps que cette voix collective se fasse entendre plus fort. Il ne s’agit pas seulement de défendre la souveraineté des États africains, mais aussi la dignité humaine universelle. L’Afrique ne peut pas être complice d’un système où des vies sont marchandées, où des criminels sont « relocalisés » à l’aveugle, et où la justice se fait au gré des intérêts géostratégiques.

Ce que fait l’Afrique du Sud aujourd’hui, c’est refuser la banalisation d’un précédent dangereux. C’est rappeler que la justice ne se sous-traite pas, que la sécurité ne se délègue pas à des États fragiles, et que la migration ne doit jamais devenir un outil de chantage diplomatique. À Washington, certains continuent de croire que le continent africain est malléable à volonté. Ils se trompent. L’Afrique change. Elle observe, elle s’indigne, et elle se prépare à répondre. L’éveil diplomatique de l’Afrique ne fait que commencer, et il serait temps que les États-Unis en prennent la mesure. Car une chose est désormais claire : l’Afrique n’est pas, et ne sera jamais, la décharge migratoire de l’Amérique.

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Très attaché à l’Afrique Centrale que je suis avec une grande attention. L’Afrique Australe ne me laisse pas indifférent et j’y fais d’ailleurs quelques incursions
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