Quand le Rwanda devient le complice d’une forme de néo-colonialisme migratoire


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Le Président Paul Kagame indexé par le FBI
Le Président rwandais, Paul Kagame

Le Rwanda vient de franchir un pas supplémentaire dans sa stratégie d’image internationale en signant un accord avec les États-Unis pour accueillir jusqu’à 250 migrants expulsés du sol américain. Présenté comme un geste humanitaire par Kigali, cet accord soulève pourtant de sérieuses questions éthiques, géopolitiques et logistiques, que le discours officiel tente habilement de masquer sous des formules bien rodées sur la « réintégration » et la « solidarité ».

Mais derrière les belles paroles, cet accord ressemble davantage à une transaction géopolitique cynique qu’à un projet humaniste sincère. Le Rwanda se transforme peu à peu en terre d’exil sous contrat, où les grandes puissances viennent déposer ceux qu’elles ne veulent plus voir chez elles. À quel prix ? Et surtout, au profit de qui ?

Kigali, sous-traitant des politiques migratoires occidentales

Ce n’est pas la première fois que le Rwanda tente de se positionner comme partenaire de choix dans la gestion externalisée des migrations. En 2022 déjà, Kigali avait signé un accord controversé avec le Royaume-Uni pour accueillir des demandeurs d’asile déboutés. Le projet avait été suspendu par la Cour suprême britannique, qui l’avait jugé illégal et contraire aux droits humains.

Aujourd’hui, les États-Unis reprennent cette idée, avec la promesse de relocaliser jusqu’à 250 personnes en situation irrégulière sur le sol rwandais. Or, le Rwanda n’a ni les infrastructures, ni les garanties juridiques, ni les moyens démocratiques suffisants pour assurer une telle mission de façon transparente et digne. Le risque est grand que ces migrants deviennent des citoyens de seconde zone, invisibles, sans perspectives, et instrumentalisés politiquement.

Un pays aux droits humains contestés

Peut-on confier le sort d’êtres humains vulnérables à un État classé parmi les plus autoritaires du continent ? Derrière la vitrine modernisée de Kigali, la réalité des droits humains est bien plus sombre. Répression de la presse, opposition muselée, disparitions inexpliquées : les critiques pleuvent régulièrement sur le régime de Paul Kagame, au pouvoir depuis plus de deux décennies.

Le gouvernement rwandais affirme vouloir offrir à ces migrants des formations, un accès à la santé, et un hébergement. Mais aucun mécanisme de suivi indépendant n’a été annoncé. Et l’histoire récente du pays ne rassure pas. On est en droit de douter de la sincérité de cette promesse, surtout quand elle est enveloppée dans une rhétorique compassionnelle soigneusement calibrée.

Des migrants traités comme une monnaie d’échange

Le plus troublant dans cette affaire reste l’instrumentalisation des migrants à des fins politiques. Car il ne s’agit pas ici de réfugiés demandant l’asile au Rwanda, mais bien d’individus que les États-Unis veulent éloigner de leur sol à tout prix, sans se soucier de leur avenir. En échange, Kigali pourrait espérer des retombées économiques ou diplomatiques : aides financières, allègement des critiques internationales, ou soutien dans d’autres dossiers stratégiques.

Ce marchandage rappelle tristement certaines pages sombres de l’histoire où des vies humaines étaient négociées sur des tables de pouvoir, loin de toute considération morale. Le Rwanda devient ici un outil logistique, un simple « point de chute » pour les indésirables de l’Amérique.

Un précédent dangereux pour l’Afrique

Le cas du Rwanda risque de créer un précédent particulièrement préoccupant pour le continent africain. Si d’autres régimes autoritaires décident d’imiter Kigali, il se pourrait que l’Afrique devienne le réceptacle par défaut des migrants rejetés par les pays du Nord. Déjà, le Soudan du Sud et l’Eswatini, deux États aux systèmes politiques fragiles, ont accepté des expulsés américains.

Cette dynamique encourage la déresponsabilisation totale des pays riches, qui sous-traitent leur politique migratoire sans traiter les causes profondes de l’immigration : pauvreté, guerre, répression, changement climatique… En acceptant de jouer ce rôle, le Rwanda se rend complice d’une forme de néo-colonialisme migratoire, où les dés sont pipés dès le départ.

Et les citoyens rwandais dans tout cela ?

Peu de place est faite à la voix des Rwandais dans ce dossier. Ont-ils été consultés ? Ont-ils donné leur aval à cette décision qui engage leur pays sur un terrain aussi sensible ? La réponse est évidente : non. Le régime de Kagame, centralisé et vertical, n’a pas besoin de l’avis de sa population pour prendre ce genre de décisions. Pourtant, ce sont bien les contribuables rwandais qui devront financer, directement ou indirectement, cette opération diplomatique.

Dans un pays où la pauvreté rurale reste massive, où des tensions sociales couvent sous la surface policée de Kigali, cette décision unilatérale pourrait provoquer des crispations et des incompréhensions, surtout si les aides promises aux migrants dépassent celles allouées aux citoyens eux-mêmes.

Une solution trompeuse à un faux problème

Le transfert de migrants vers le Rwanda n’est ni une solution juste, ni une réponse durable à la crise migratoire mondiale. Il s’agit d’une manœuvre politique, moralement contestable et stratégiquement douteuse, qui ne résout rien, ni pour les migrants, ni pour les pays expulseurs, ni pour les sociétés d’accueil.

Plutôt que d’externaliser leurs problèmes, les États-Unis (et les autres) devraient assumer leurs responsabilités et proposer des politiques d’immigration humaines, transparentes et intégrées, en collaboration avec les pays d’origine. Quant au Rwanda, il serait temps qu’il cesse de jouer les bons élèves de l’Occident au détriment de ses propres citoyens et de la dignité humaine.

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Très attaché à l’Afrique Centrale que je suis avec une grande attention. L’Afrique Australe ne me laisse pas indifférent et j’y fais d’ailleurs quelques incursions
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