
Les chimpanzés possèderaient un langage rythmique étonnant. En frappant sur des troncs et des racines d’arbres, ces animaux communiquent sur de longues distances grâce à des séquences percussives complexes, selon une étude publiée dans Current Biology.
Bien plus que de simples cris résonnant dans la canopée, les chimpanzés d’Afrique ont mis au point un langage étonnant : celui du rythme. En frappant sur les troncs ou les racines d’arbres, ces primates parviennent à communiquer sur de longues distances grâce à des séquences percussives aussi variées que sophistiquées. Une nouvelle étude publiée dans Current Biology révèle que ce comportement n’est ni aléatoire ni anecdotique, mais bien ancré dans une forme de culture sonore propre à chaque région.
Un langage de la forêt, audible à plus d’un kilomètre
Les chimpanzés ne se contentent pas de vocaliser pour rester en contact avec leurs congénères. Ils tambourinent également sur des troncs et des racines pour produire des sons graves, perceptibles bien au-delà du champ visuel. Ces percussions traversent la forêt sur plus d’un kilomètre, permettant aux membres d’un même groupe de se localiser ou d’indiquer une direction. Loin d’être improvisées, ces séquences suivent des motifs précis, distincts pour chaque individu. Comme le souligne Catherine Hobaiter, co-autrice de l’étude, « chaque chimpanzé a son propre style, reconnaissable à son rythme unique ».
L’étude a observé plus de 370 enregistrements auprès de 11 communautés réparties dans six groupes de chimpanzés vivant en savane ou en forêt humide. Les résultats montrent que les rythmes varient selon la région géographique. En Afrique de l’Ouest, les frappes sont régulières et répétitives, presque métronomiques. À l’inverse, en Afrique de l’Est, les séquences sont plus irrégulières, alternant frappes longues et courtes. Cette variation pourrait être influencée par des facteurs sociaux : les chimpanzés de l’Ouest, plus sociables et pacifiques, restent souvent ensemble, tandis que ceux de l’Est, plus agressifs, sont fréquemment dispersés. Le rythme deviendrait alors un outil d’identification plus marqué, peut-être même un code social.
Quand les racines d’arbres deviennent des instruments
Les chimpanzés ne frappent pas n’importe où ni n’importe comment. Ils choisissent des arbres et des racines bien spécifiques. Les racines les plus fines et larges permettent une meilleure propagation du son. Ce choix réfléchi montre une conscience acoustique remarquable. Les scientifiques, à l’aide d’outils mathématiques utilisés dans l’analyse de la musique humaine, ont pu confirmer la régularité et la structuration non aléatoire de ces séquences. Pour Vesta Eleuteri, doctorante à l’université de Vienne, ce mode de communication révèle une véritable intentionnalité musicale.
Cette aptitude à produire des séquences rythmiques complexes pourrait remonter à plus de six millions d’années, avant la séparation évolutive entre humains et chimpanzés. Elle suggère que certains éléments fondamentaux de la musicalité humaine étaient déjà présents chez nos ancêtres communs. Andrea Ravignani, neuroscientifique, insiste cependant sur la prudence : si les chimpanzés montrent une capacité à structurer des sons de manière rythmée, leur rapport au rythme n’est pas équivalent à celui des humains. Il s’agit plutôt d’une « particule » primitive de ce que deviendra la musique.
Vers une cartographie des cultures rythmiques simiesques ?
Les chercheurs souhaitent désormais aller plus loin : comprendre comment les chimpanzés produisent ces sons – mains, pieds, ou une alternance des deux – et déterminer si des cultures rythmiques existent entre les groupes d’une même sous-espèce. En élargissant la collecte de données, ils espèrent mettre en lumière des traditions sonores propres à chaque communauté, comme des dialectes musicaux de la jungle. Ce faisant, c’est tout un pan oublié de notre propre évolution cognitive et sociale que ces percussions simiennes pourraient nous aider à retrouver.