Mouammar Kadhafi, la fin du « Guide »


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Arrivé au pouvoir il y a 42 ans par un coup d’Etat, l’énigmatique Mouammar Kadhafi n’a finalement pas résisté aux forces armées du Conseil national de transition, mais surtout aux frappes de l’OTAN. L’ex-dirigeant libyen a été abattu à Syrte, sa ville natale, ce jeudi 20 octobre 2011, soit huit mois après le début du conflit. Portrait d’un dirigeant fantasque qui a joué avec les nerfs de la communauté internationale.

La chute était inéluctable. Alors que la tête du dirigeant libyen Mouammar Kadhafi était mise à prix, mort ou vif, le « Guide de la révolution libyenne » a fini par être tué dans une attaque aérienne de l’Otan à Syrte, sa ville natale, le 20 octobre 2011. L’excentrique dirigeant a dirigé le pays d’une main de fer pendant 42 ans. Imprévisible, il s’est fait à son tour surprendre par un soulèvement populaire qu’il a d’abord violemment réprimé avant de se retrouver en position défensive face aux armées de l’OTAN.

Un idéologue chevronné

Issu de la tribu des Gaddafa, présent dans le désert de Syrte, une région située au nord du pays, Mouammar Kadhafi est né le 7 juin 1942. Il a reçu une éducation rigoureuse avant de suivre une carrière militaire. Le futur leader politique n’a que 27 ans lorsqu’il renverse sans violence le roi Idriss 1er, le 1er septembre 1969. Révolutionnaire, Mouammar Kadhafi apparaît rapidement comme un idéologue chevronné. En référence au « Petit livre rouge » du dirigeant chinois Mao Zedoung, le colonel va rédiger le « Livre vert » où il y détaille sa vision de la politique. En 1973, il lance sa révolution culturelle toujours selon le modèle chinois et invite son peuple à brûler les livres qui contiennent des idées importées de la réaction capitaliste ou du communisme juif. Pour Benjamin Barber, analyste politique indépendant aux États-Unis, le dirigeant libyen « se voit beaucoup comme un intellectuel ».

Fervent admirateur du président égyptien Gamal Abdel Nasser, le Guide, comme il se surnomme, prônera un régime fondé sur le socialisme islamique et le panarabisme. Il sera à l’origine d’un projet d’union arabe regroupant l’Égypte, la Libye et la Syrie. Le projet se soldera par un échec en 1977. La même année, Mouammar Kadhafi créé la « Jamahiriya arabe libyenne », qui signifie « le pouvoir des masses ». Tout au long de son règne, le dirigeant libyen sera animé d’une insatiable logique impériale. Il tentera de fusionner, ou du moins brièvement, avec tous les pays du Maghreb et optera finalement pour les «États-Unis d’Afrique» au cours des années 90. Panafricaniste convaincu, lorsqu’il accède là la présidence de l’Union africaine en 2009, Mouammar Kadhafi proposera un véritable projet africain commun : armée commune, monnaie unique, passeport africain assurant la libre circulation sur le continent. C’est de nouveau un échec.

L’utopie démocratique du leader libyen a du mal à cacher sa vison totalitaire. Le « Roi des rois traditionnels d’Afrique » va gracieusement distribuer les revenus générés par le pétrole aux dirigeants africains afin de s’assurer leur soutien. Mouammar Kadhafi interdit cependant les partis politiques et réprime dans une extrême violence toute velléité de contestation. Il s’appuiera sur les chefs de tribu pour régner sans partage sur le pays. Il va néanmoins augmenter le niveau de vie de sa population et mener des réformes en faveur des femmes.

 

Le paria de la communauté internationale

D’abord pourfendeur de la neutralité, Tripoli va peu à peu se rapprocher du bloc soviétique dans un monde alors bipolaire. La Libye, sous la houlette de Kadhafi, se lance dans une croisade anti-impérialiste virulente, à tel point que le président américain Ronald Reagan l’a qualifié de « chien fou ». Le régime sera accusé de financer des attentats dans les pays occidentaux et de soutenir des mouvements terroristes palestiniens, irlandais, basques et la fraction armée rouge, une organisation de guérilla urbaine en Allemagne fédérale. Les pays africains ne vont pas échapper à cette logique de déstabilisation. Le Tchad, fréquemment occupé par les forces de Kadhafi après l’échec d’une fusion en 1981, en fera partie jusqu’au retrait définitif des troupes libyennes en 1994. Soit quatre ans après l’arrivée au pouvoir de celui qui deviendra paradoxalement son grand ami, Idriss Deby Itno.

Les tensions entre la Libye et le reste de la communauté internationale atteignent leur apogée à la fin des années 80. Suite au bombardement en 1986 par les États-Unis de sa caserne-résidence de Bab el-Azizia, au centre de Tripoli, le colonel Kadhafi riposte deux ans plus tard en participant à l’explosion d’un avion de la compagnie américaine Pan American World Airways, au dessus de la ville écossaise de Lockerbie. Cet attentat a causé ainsi la mort de 270 personnes. La Libye, qui nie sa responsabilité, est en outre soupçonnée de développer un programme nucléaire et de mettre au point des armes chimiques.

L’excentrique dirigeant politique, qui nargue ses adversaires dans des discours enflammés vêtu en saharienne kaki, en tenue militaire ou de Bédouins, va rapidement faire office de paria de la communauté internationale. Fantasque, Mouammar Kadhafi ne quitte pas sa luxueuse tente bédouine, où il y serait né selon la légende. Pour la parachever, de plantureuses et farouches « Amazones » ont la charge d’assurer sa sécurité. « Il est unique dans son discours, dans son comportement, dans sa pratique et dans sa stratégie », a affirmé l’analyste algérien Saad Djebbar.

L’habile politique

Le dirigeant libyen sait en effet retourner les situations à son avantage. Alors acculé sous le poids des embargos économiques, notamment sur le pétrole, principale rente du pays, Mouammar Kadhafi entreprend, à la fin des années 1990, la réhabilitation de son pays sur la scène internationale. En 1999, il reconnaît du bout des lèvres la responsabilité de la Libye dans l’attentat de Lockerbie, livre les suspects et accepte de dédommager les victimes. Après le renversement en 2003 du régime de Saddam Hussein, soupçonné à tort par les États-Unis de détenir des armes de destruction massive, Mouammar Kadhafi décide d’interrompre son programme militaire.

Tous ces efforts portent leur fruit puisque dans le même temps, les sanctions internationales contre le pays sont levées. Washington va même jusqu’à supprimer la Libye de sa liste de pays finançant le terrorisme international. De nouveau fréquentable, le nouveau Kadhafi autorise les entreprises françaises et anglo-saxonnes à investir dans le pays. Réaliste, il va passer des accords entre son pays et ses nouveaux partenaires européens. Mais les polémiques créées par chacun de ses déplacements dans les capitales européennes montre que l’image du dirigeant libyen n’est pas tout à fait restaurée.

Et pour cause. Le dirigeant libyen défraie à nouveau la chronique en 2009 pour l’accueil triomphal fait en Libye à Abdelbaset Ali Mohamed Al-Megrahi, reconnu seul coupable de l’attentat de Lockerbie et libéré par le ministère de la Justice écossaise pour des raisons médicales. Aujourd’hui, Kadhafi fait à nouveau la une des journaux. Surpris par une révolution, qui a démarré en Tunisie et qui s’est propagée dans le monde arabe, le leader libyen a choisi de réprimer sauvagement les soulèvements populaires qui ont débuté en février dans son pays. Après 42 ans d’un règne aussi absolu que fantasque, le Guide de la révolution libyenne a été balayé par celle des insurgés de Benghazi, organisé en Conseil national de transition (CNT). L’opposition historique à son pouvoir aura fini par avoir raison de Mouammar Kadhafi.

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