Abdelbaset Ali Mohamed Al-Megrahi : pourquoi a-t-il été accueilli en héros ?


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L’accueil réservé en Libye à Abdelbaset Ali Mohamed Al-Megrahi, écroué pour l’attentat de Lockerbie, n’est pas du goût de la Grande-Bretagne et des Etats-Unis. Selon eux, un « criminel » ne devrait pas être acclamé en « héros ». L’espion libyen a bénéficié jeudi d’une grâce médicale. La Libye avait pourtant été exhortée à se montrer discrète quant à cette libération. Avait-elle des raisons de faire fi de ces consignes ?

En Grande-Bretagne et aux Etats-Unis, les qualificatifs fusent ce vendredi pour dénoncer l’accueil triomphal dont a bénéficié l’espion libyen Abdelbaset Ali Mohamed Al-Megrahi, condamné pour l’attentat de Lockerbie. Le haut responsable libyen, qui n’aurait plus que trois mois à vivre a cause d’un cancer de la prostate, a été libéré jeudi par la justice écossaise. Il a immédiatement rejoint son pays où une foule en liesse l’attendait à son arrivée. Au risque de déplaire aux Etats-Unis, fermement opposée à cette libération, et à la Grande-Bretagne.
Comment expliquer l’attitude de défiance de la Libye ?

Désapprobation et menaces

Le président américain Barack Obama et les autorités britanniques avaient prévenu Tripoli qu’elle ne souhaitait pas que l’espion soit accueilli en héros. Barack Obama avait qualifié sa libération d’ « erreur ». Son accueil lui est considéré comme « tout à fait répréhensible » par le chef d’Etat américain. Plus tôt ce vendredi, Bill Burton, un porte-parole de la Maison Blanche s’était exprimé à ce propos. « Il est dérangeant de voir à la télévision des images qui suggèrent que Megrahi a été accueilli en héros plutôt qu’en criminel ». Pour le ministre britannique des Affaires étrangères, David Miliband, cet accueil est « profondément affligeant ». Le responsable britannique a également menacé la Libye de sanctions diplomatiques. « Il est très important que la Libye sache (…) que le comportement du gouvernement libyen dans les prochains jours (…) sera capital dans la manière dont le monde considérera le retour de la Libye dans la communauté civilisée des nations », a-t-il déclaré.

Du côté de la presse, le quotidien américain Wall Street Journal parle de « second Lockerbie » pour les familles des victimes. Ce sont 270 personnes (259 dans l’avion et 11 en Ecosse) qui ont péri dans le drame, dont 189 ressortissants américains le 21 décembre 1998 au dessus de la ville de Lockerbie. Le journal anglais Le Daily Mail regrette, lui, qu’avec cette libération les familles des victimes « ne (connaissent) jamais la vérité ».

Les avertissements n’ont pas empêché les libyens de célébrer une décision que d’aucuns considèrent comme un cadeau fait au président Mouammar Kadhafi pour le 40e anniversaire de l’indépendance de son pays le 1er septempbre. « Le fait que tout cela va se mettre en place avant (cette date) n’est pas une coïncidence du côté libyen », a analysé Molly Tarhuni, experte au centre de réflexion Chatham House, à Londres, interrogée par l’AFP.

« Ce dossier ne tient pas la route »

La satisfaction manifestée reflèterait-elle aussi celle d’un homme qui n’a cessé de clamer son innocence ? Par deux fois, Abdelbaset Ali Mohamed Al-Megrahi fera appel. Il a renoncé à son deuxième appel pour obtenir sa libération. « Dieu m’est témoin, je suis innocent, je n’ai commis aucun crime et je n’ai aucun lien avec cette histoire », confiait-il au journal arabophone Asharq al-Awsat en 2001, l’année de sa condamnation à la prison à vie, assortie d’une période de sûreté de 27 ans. Le 18 juillet 2007, Ulrich Lumpert, l’un des principaux témoins à charge lors de son procès apporte de l’eau à son moulin. Il revient sur ses aveux. « J’ai menti dans mon témoignage sur l’attentat de Lockerbie », admettra-t-il dans une déposition publiée sur le site Internet de la société Mebo, son employeur au moment des faits. L’entreprise a été accusée d’avoir vendu le retardateur, incriminé dans l’attentat, à la Libye. L’ex-ingénieur suisse l’aurait volé et remis aux Ecossais le fragment de la pièce, une preuve essentielle attestant de l’implication des Libyens dans l’acte terroriste.

Edwin Bollier, co-fondateur de la firme Mebo, confiait en 2007 à RFI qu’il était convaincu « que cette pièce devait servir à accuser la Libye ». « On voulait la rendre coupable pour des raisons politiques mais ce retardateur a été intentionnellement ajouté après coup aux pièces à convictions », avait-t-il affirmé. Même son de cloche chez le journaliste Pierre Péan, qui a consacré un livre au drame. « Les éléments s’ajoutent depuis des années les uns après les autres pour montrer que ce dossier ne tient pas la route. (…) Le mobile de la Libye était incompréhensible », confiait-il également à la radio internationale française. Toute l’affaire aurait été orchestrée par les services secrets américains, la CIA. A la fin du procès, l’avocate d’Abdelbaset Ali Mohamed Al-Megrahidu, Margaret Scott avait qualifié le verdict « d’erreur judiciaire .»

En octobre 2008 pourtant, la Libye verse des indemnités aux familles des victimes de Lockerbie. La démarche lui vaut la normalisation de ses relations avec les Etats-Unis et la plupart des pays occidentaux, dont elle vient de nouveau de provoquer l’ire. Avec l’Occident, Mouammar Kadhafi joue toujours à « Je t’aime moi non plus ». Et les intérêts pétroliers de ces interlocuteurs en Libye constituent une carte maîtresse de son jeu. Les réserves ce pays sont évaluées à 36 milliards de barils.

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