
Si les rues de Cotonou ont retrouvé ce lundi matin leur effervescence habituelle, le « retour à la normale » prôné par le gouvernement de Patrice Talon s’apparente davantage à un couvercle posé sur une marmite en ébullition qu’à une véritable résolution.
Vingt-quatre heures après la tentative de prise de pouvoir par le lieutenant-colonel Tigri, l’heure n’est plus seulement au soulagement, mais à l’autopsie d’une faillite sécuritaire et politique. En effet, au-delà de l’échec opérationnel des mutins, cet événement marque une rupture : le « modèle béninois« , cette exception démocratique (déjà écornée) dans une région sahélienne en feu, vient de montrer ses limites structurelles.
L’échec du « Pacte de la Modernisation Autoritaire »
Depuis 2016, le président Patrice Talon a opéré un changement radical de paradigme : sacrifier une part des libertés publiques et du pluralisme politique sur l’autel de l’efficacité économique et de la modernisation des infrastructures. Mais ce coup de force, bien que déjoué, suggère que ce pacte ne fait plus l’unanimité, y compris au sein des « corps habillés« . La prospérité macroéconomique vantée par le régime (le Bénin affichait encore une croissance robuste en 2024) ne ruisselle pas assez vite pour apaiser les frustrations sociales, et celles désormaisaffichées des militaires.
En verrouillant le système électoral (l’exclusion de l’opposition radicale lors des législatives passées et les difficultés pour la présidentielle de 2026), le pouvoir a involontairement fait de la caserne le seul lieu de contestation possible. Lorsque l’urne est cadenassée, le fusil devient tentant.
La « Digue Côtière » menacée par le virus sahélien
L’analyse de ces dernières 24 heures ne peut se faire sans regarder la carte. Le Bénin était jusqu’hier considéré comme une digue. Mais il y a aujourd’hui une contagion des juntes. Avec le Niger, le Burkina Faso et le Mali dirigés par des militaires au nord, le Bénin subit une pression idéologique fortes. Le discours souverainiste, anti-français et populiste des voisins du nord trouve un écho croissant au sein de la jeunesse et des rangs subalternes de l’armée béninoise sous le feu du terroisme.
L’armée béninoise, historiquement républicaine depuis la fin de la période marxiste-léniniste, n’est plus imperméable. La tentative de putsch prouve que le « logiciel sahélien » (prendre le pouvoir pour restaurer l’ordre ou la souveraineté) a été téléchargé par une partie des officiers béninois.
La CEDEAO joue sa survie et non plus seulement sa crédibilité
La réaction fulgurante de la CEDEAO et l’activation de sa force en attente avec l’interveintion du Nigeria, ne sont pas de simples postures diplomatiques. C’est un réflexe de survie existentielle pour l’organisation.« Si le Bénin tombe, c’est tout le corridor côtier, du Togo à la Côte d’Ivoire, qui se retrouve vulnérable. Cotonou est le dernier verrou avant l’océan pour l’arc des putschistes. » nous précise une source diplomatique à Abuja.
L’interventionnisme affiché ces dernières 24 heures vise à créer un précédent dissuasif : montrer que sur la côte, la ligne rouge est réelle et défendue militairement.
Le dilemme de Patrice Talon : purge ou dialogue ?
C’est ici que se joue l’avenir immédiat du pays. Le président Talon, sorti indemne mais politiquement affaibli par la révélation de cette vulnérabilité, fait face à un choix binaire aux conséquences lourdes :
Le verrouillage sécuritaire avec des purges massives dans l’armée, des arrestations étendues dans l’opposition, et un état d’urgence de facto entrainerait sans doute une radicalisation des mécontents, risque de « contre-coup » plus violent, isolement international.
L’ouverture politique par contre pourrait passer par l’organisation d’un dialogue national inclusif avant 2026 et la libération de prisonniers politiques (ex: Madougou, Aïvo). mais cela pourrait passer pour un aveu de faiblesse pour les « faucons » du régime.
Ce 8 décembre 2025, le Bénin n’est pas tombé, mais il a changé. Il a rejoint la liste des pays où la transition pacifique du pouvoir n’est plus une certitude, mais un combat.



