Bénin : Reckya Madougou fait un déballage sur les violations constantes de ses droits en prison


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Reckya Madougou
Reckya Madougou

Reckya Madougou fait parler d’elle une fois de plus. L’opposante béninoise incarcérée a dénoncé, ce vendredi 5 avril 2024, une série de violations de ses droits en tant que détenue à la prison civile d’Akpro-Missérété.

Depuis trois ans, l’ancienne ministre de la Justice du Bénin, Reckya Madougou séjourne à la prison civile d’Akpro-Missérété où elle purge une peine de 20 ans de privation de liberté. Un séjour pas des plus faciles à en croire la pensionnaire de la maison d’arrêt elle-même. Dans un long post sur sa page Facebook, l’ancienne candidate recalée du parti Les Démocrates à la Présidentielle de 2021 revient sur ses malheurs à la prison civile d’Akpro-Missérété.

« Dans quel état de droit un prisonnier est interdit de téléphoner même à ses enfants et à son médecin traitant quand il est souffrant, et sans tenir compte de la loi ? », s’interroge l’ancienne ministre. Avant de préciser : « C’est ce que je suis la seule à endurer à la prison de Missérété ».

Privation de téléphone

Des privations, Reckya Madougou en connaît assez dans sa situation de détenue. Jusqu’au droit de téléphoner à ses enfants, à en croire son post qui est en fait une lettre ouverte adressée au directeur général de l’Agence pénitentiaire du Bénin (APB). « Monsieur le DG, vous violez abusivement, et de manière discriminante, depuis trois ans, mes droits élémentaires, y compris celui de téléphoner à mes enfants. Tandis que tous les détenus, même ceux ayant du sang sur les mains en jouissent au quotidien », a écrit Reckya Madougou.

Avant d’appuyer son propos par un exemple précis qui lui est resté en mémoire : « J’ai encore en mémoire cette veille de l’examen du brevet des collèges courant juin 2023. Bien qu’étant dans mes droits, j’ai supplié vos collaborateurs de me permettre de passer un appel à mon fils pour lui dire à quel point je l’aime et lui conseiller d’être mentalement fort pour aborder ce tournant de ses études, comme tout parent le prodigue à sa progéniture à l’approche des examens scolaires. J’ai suggéré à mes geôliers d’être présents pendant l’appel pour suivre la conversation s’ils le désiraient ».

Et de poursuivre son récit : « Peinés, vos gens m’ont rassurée que j’aurais cette fois-là gain de cause, alléguant même que vous êtes présent dans la maison d’arrêt et que le ministre de la Justice, Détchénou, aussi en est informé et nous fera rapidement un retour prétendument favorable. Ô que nenni ! Ce n’était que du bluff. J’ai eu tort de croire en un quelconque humanisme chez vous me concernant. Mais j’ai de nouveau laissé couler. Je n’aurais pas dû, car toute brimade non dénoncée fait le lit à des excès plus dramatiques ».

Difficile accès aux soins de santé

Reckya Madougou parle également de ses ennuis de santé et du parcours de combattant qui fut le sien avant que son médecin traitant soit autorisé à lui rendre visite en prison. Selon elle, il a fallu une année entière de lutte pour que cette autorisation soit accordée. Elle évoque également le refus à elle opposé, pendant deux ans, d’aller faire des examens sanitaires qui lui étaient prescrits par le médecin.

« En vous épargnant l’épisode de ma crise de 2021, depuis 2022 où chaque nuit est d’une atrocité que j’expose constamment à l’administration pénitentiaire, aux régisseurs, au PS (procureur spécial près la Cour de répression des infractions économiques et du terrorisme, ndlr), aux ministres de la Justice, que de courriers n’avons-nous adressé mes conseils et moi ? Ce n’est que ces premiers jours d’avril 2024, plus de deux années plus tard, que je suis autorisée à effectuer mes examens. Du moins partiellement. Car une nouvelle requête doit être introduite au PS qui avait pourtant reçu, auparavant, plusieurs correspondances sur la même question ».

Pour Reckya Madougou, il y a de l’acharnement sur sa personne, puisque sur ce point par exemple, elle fait observer que « chaque jour, (ses) co-détenus se rendent dans les centres de santé publics comme privés, certains plusieurs fois dans la semaine ». Et d’insister : « Je sais, avec des preuves que j’ai accumulées au fil du temps pour l’heure du bilan, qu’un agenda spécial de torture m’est particulièrement dédié ».

Violation du droit à l’information et aux loisirs

Reckya Madougou fait, par ailleurs, mention de la violation de son droit à l’information et aux loisirs puisque privée de la possibilité de disposer « d’un simple poste radio ». Pendant que des « climatiseurs individuels, réfrigérateurs, congélateurs, postes téléviseurs avec accès aux chaînes internationales, fours à micro-onde, consoles de jeux vidéo… sont légion chez les privilégiés, comme l’ont constaté des ONG internationales de passage », indique-t-elle.

À tout ceci s’ajoutent les nombreuses restrictions des visites à l’opposante sous différents prétextes qu’elle a rappelés dans son texte : restrictions liées au Covid-19, permis de visite exigé à ses seuls visiteurs et que ces derniers ne parviennent d’ailleurs pas à se faire délivrer en dépit des démarches enclenchées dans ce sens.

« J’ai eu l’honneur d’avoir été garde des Sceaux, ministre de la Justice. Jamais je n’ai instruit aucun procureur, magistrat ni responsable des milieux carcéraux, aux fins de priver quiconque de ses droits, quelles que soient les charges portées contre lui. Au contraire dans mes fonctions, j’ai déployé, chaque fois, mon énergie à veiller à observer la distance nécessaire pour que justice soit toujours rendue sans penser à l’intérêt du poste que j’occupais », précise Reckya Madougou. Elle justifie, par ailleurs, son « cri de cœur » en ces termes : « continuer à garder le silence serait être complice de ma propre destruction (…) Je le dénonce afin que nul ne le subisse demain, pas même ceux qui m’y soumettent aujourd’hui ».

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Par Serge Ouitona, historien, journaliste et spécialiste des questions socio-politiques et économiques en Afrique subsaharienne.
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