
Dans un contexte où le sport marocain manque cruellement de moyens et où moins d’un Marocain sur six pratique une activité physique régulière, le roi Mohammed VI a décidé d’octroyer la nationalité marocaine et un financement personnel à deux lutteurs russo-autrichiens de MMA. Cette décision révèle les rouages d’un système de cour parallèle où l’argent public sert des intérêts privés, sous couvert de promotion sportive.
Le combattant de l’UFC Ismail Naurdiev ne cache pas sa satisfaction depuis sa naturalisation marocaine en novembre 2024. Il reçoit désormais un soutien total du souverain, ce qui lui permet de s’entraîner sans contrainte financière. Une transformation radicale pour cet athlète qui confie avoir longtemps combattu uniquement pour payer son loyer. Désormais, tout est pris en charge par le palais royal, des camps d’entraînement aux frais de son équipe. Son frère Islam bénéficie du même traitement de faveur, les deux ayant obtenu la citoyenneté marocaine par décrets royaux exceptionnels.
Ismail Naurdiev reveals he no longer worries about money after moving to Morocco because the king is supporting him now:
« Since I moved to Morocco, everything changed for the better.
Before, when I was fighting, I was basically just fighting to survive. I’d get paid, then… pic.twitter.com/WizvBTHb7w
— Home of Fight (@Home_of_Fight) December 2, 2025
Un pouvoir discrétionnaire utilisé pour récompenser la proximité avec les frères Azaitar ?
La procédure utilisée pour naturaliser les frères Naurdiev s’appuie sur l’article 12 du Code de la nationalité marocaine qui traite de l’attribution exceptionnelle de la nationalité. Cette disposition permet au roi d’accorder, dans des circonstances exceptionnelles, la citoyenneté sans que les bénéficiaires n’aient à justifier d’une résidence au Maroc. Ni même d’une maîtrise de la langue arabe ou de moyens de subsistance suffisants. Plus remarquable encore, ces naturalisations exceptionnelles lèvent les incapacités prévues dans l’article 17 qui s’appliquent normalement aux naturalisés pendant une durée de cinq ans. Les frères Naurdiev peuvent donc immédiatement occuper des fonctions publiques ou briguer des mandats électifs.
Mais quel « service exceptionnel » ont rendu ces combattants au royaume pour mériter un tel traitement ? La réponse se trouve dans leurs connexions personnelles. Ismail Naurdiev est un proche des frères Azaitar, réputés intimes du roi Mohammed VI. Cette proximité avec le cercle royal constiturait le véritable fondement de leur naturalisation express.
Les Azaitar, architectes d’un système de cour parallèle
Pour comprendre le mécanisme à l’œuvre, il faut s’intéresser aux frères Azaitar, ces combattants germano-marocains qui ont conquis le cœur du monarque. Les trois frères ont franchi les portes du palais royal de Rabat le 20 avril 2018 Orient, officiellement pour célébrer leurs victoires sportives. Depuis, leur ascension a été fulgurante. Abu Azaitar est installé au palais royal de Rabat et a fait venir ses deux frères, Ottman et Omar. Leur influence dépasse largement le cadre sportif puisque Abu Azaitar serait devenu un chambellan officieux du roi. Des nombreuses sources révèlent qu’il détiendrait désormais le privilège de juger qui a le droit d’être reçu par Mohammed VI.
Cette proximité avec le pouvoir s’accompagne d’avantages matériels considérables. Les frères Azaitar affichent un train de vie luxueux sur les réseaux sociaux, multipliant les signes ostentatoires de richesse. Ils ont également obtenu des biens immobiliers de prestige et bénéficient de privilèges exorbitants, au point que des segments entiers du makhzen, surtout la DST et la DGED, mèneraient une course pour tenter de les chasser de l’entourage direct du roi rapporte Middle East Eye.
Le passé judiciaire des Azaitar rend leur position encore plus controversée. Abu Azaitar avait été inculpé pour avoir brutalement attaqué un homme d’affaires. Son frère Omar a également été condamné pour vol. Malgré ces antécédents, Mohammed VI maintient sa protection sur cette « nouvelle famille« , comme la désigne cruellement la presse internationale.
Un financement opaque qui détourne l’argent public
Le financement direct d’athlètes par Mohammed VI pose la question de l’origine des fonds utilisés. Le roi dispose d’une fortune personnelle considérable, estimée entre 2 et 8 milliards d’euros, alimentée par ses participations dans de nombreuses entreprises marocaines via la holding Al Mada. Mais il bénéficie également d’allocations budgétaires conséquentes : en 2023, 543,4 millions de dirhams (52 millions d’euros) ont été alloués aux dépenses du roi, dont 517 millions pour le poste « matériel et dépenses diverses« .
Cette ligne budgétaire opaque permet de financer des dépenses variées, incluant potentiellement le soutien à des sportifs triés sur le volet. Le roi du Maroc coûte aux contribuables l’équivalent de 657 000 euros par jour estime TSA, un montant vertigineux dans un pays où le SMIC dépasse à peine 280 euros mensuels.
Le contraste avec le financement officiel du sport marocain est saisissant. Entre 2020 et 2022, les 55 fédérations sportives ont reçu 2,9 milliards de DH de subventions étatiques, des fonds distribués selon des critères transparents et destinés au développement général du sport. Pendant ce temps, quelques individus choisis pour leur proximité avec l’entourage royal bénéficient d’un soutien financier illimité, sans aucun contrôle ni justification publique.
Dysfonctionnements du système monarchique marocain
Cette approche personnalisée du mécénat sportif révèle les dysfonctionnements profonds du système monarchique marocain. Alors que seulement un Marocain sur six pratique une activité sportive régulière et que le pays peine à former des champions olympiques malgré des investissements considérables, les ressources sont détournées au profit d’un cercle restreint.
Les tensions que génère ce système sont palpables. Les enfants de Mohammed VI sont en désaccord avec l’influence qu’ont atteinte les Azaitar, une situation qui coïncide étrangement avec la disparition de la scène publique de l’ex-épouse du roi, Lalla Salma. Enfin, au sein même de l’appareil d’État, la guerre fait rage entre les partisans du roi et ceux qui tentent d’écarter ces nouveaux favoris jugés dangereux pour l’image de la monarchie.
Le média Barlamane a qualifié Omar Azaitar d’homme obsédé par le luxe et la violence et de gangster en quête de reconnaissance. Ces attaques, orchestrées par des médias proches du pouvoir, témoignent de l’ampleur du malaise au sommet de l’État marocain. Pourtant, Mohammed VI persiste à protéger ses favoris, allant jusqu’à naturaliser et financer leurs proches comme les frères Naurdiev.
L’instrumentalisation du sport au service d’intérêts privés
Ce système de patronage royal échappe à tout contrôle démocratique. Les décisions sont prises de manière discrétionnaire, les financements transitent par des canaux opaques, et les bénéficiaires sont choisis sur la base de leur proximité avec l’entourage royal plutôt que de leurs mérites sportifs objectifs.
L’affaire révèle également la porosité entre fortune personnelle du roi et deniers publics. La holding El Mada, qui regroupe toutes les sociétés royales, a la mainmise sur l’économie marocaine. Cette confusion des genres permet au monarque de puiser dans différentes sources pour financer ses largesses, sans jamais rendre de comptes.
En définitive, la naturalisation et le financement des frères Naurdiev par Mohammed VI constituent un symptôme de la dérive monarchique vers un système de cour où l’argent public sert à entretenir des réseaux de fidélité personnelle. Dans un pays marqué par de profondes inégalités et où des millions de citoyens peinent à joindre les deux bouts, ces pratiques alimentent un ressentiment croissant envers une monarchie de plus en plus déconnectée des réalités de son peuple.




