Modernisation brutale au prix de l’humain : Maroc, quand le béton écrase les citoyens


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Démolition à Casablanca
Démolition à Casablanca

À l’approche de la Coupe du monde 2030, que le Maroc co-organise avec l’Espagne et le Portugal, le gouvernement marocain multiplie les opérations de démolition dans plusieurs grandes villes, notamment à Casablanca et Rabat. Officiellement, il s’agit de libérer les espaces publics des constructions illégales et de moderniser l’infrastructure urbaine. Mais dans les faits, ces campagnes de destruction s’apparentent de plus en plus à des actions brutales, menées sans concertation ni compassion envers les populations affectées.

Absence de toute approche participative

Les Marocains ne semblent pas au bout de leur peine. Après avoir été contraints de ne pas célébrer l’Aïd el-Adha, les voilà fac à des cascades de démolitions de leurs habitations. En vue de préparer la Coupe du monde 2030, le royaume chérifien a entrepris des opérations de démolition et de déguerpissements des populations. À Casablanca, les quartiers populaires tels que la médina, El Hassani, Aïn Sebaâ et Hay Mohammadi ont été particulièrement ciblés.

Les habitants, bien qu’ils ne contestent pas nécessairement le principe de modernisation urbaine, dénoncent la manière expéditive et opaque avec laquelle ces démolitions sont conduites. La Coordination des victimes des décisions de démolition dans la médina déplore notamment l’absence de toute approche participative, ainsi que le manque flagrant de dialogue entre les autorités et les riverains.

Une procédure brutale et expéditive

Les habitants concernés reprochent aux autorités de leur imposer des délais extrêmement courts, sans leur laisser le temps de se préparer ou de trouver des alternatives de relogement. Des familles entières se retrouvent ainsi jetées à la rue, parfois en pleine année scolaire, compromettant l’éducation de leurs enfants. La maigreur des indemnisations proposées ne fait qu’envenimer la situation. « Même quand elles existent, ces compensations sont dérisoires et ne permettent pas de retrouver un logement digne », témoigne une résidente expulsée de la médina.

Loin de respecter le cadre légal qu’elles prétendent suivre, les autorités semblent privilégier une logique d’urgence au détriment du droit. Certes, la procédure d’expropriation pour utilité publique existe et prévoit des étapes bien définies, comme la constitution d’une commission administrative ou la fixation d’une indemnité. Mais dans la pratique, nombre de citoyens n’ont jamais vu la couleur d’une compensation décente. Et lorsqu’ils refusent l’offre initiale, les biens sont tout simplement versés aux « domaines de l’État », les dépossédant de leurs droits sans procédure judiciaire équitable.

Rabat : une capitale modernisée dans les larmes

La capitale n’est pas épargnée. À Rabat, notamment dans le quartier Al Mouhit (L’Océan), les destructions ont provoqué une vague d’indignation. Sans avertissement ni soutien concret, des dizaines de familles ont été chassées de chez elles en plein mois de Ramadan. Un choc humanitaire insoutenable. Certains ont passé toute leur vie dans ces maisons, désormais réduites en poussière. « Les larmes de nos mères sont une honte indélébile sur leur front », lâche une résidente, désespérée.

Ces démolitions touchent particulièrement les personnes vulnérables : femmes, enfants, familles sans revenus stables. Dans un contexte d’inflation et de crise économique, ces expulsions forcent les familles à dormir dehors ou à errer à la recherche d’un toit, sans accompagnement de l’État. La maire de Rabat, Fatiha El Moudni, affirme que tout a été fait dans le respect des lois. Pourtant, les habitants ne voient que bulldozers, débris et détresse.

Mépris du patrimoine et destruction de la mémoire

Outre l’aspect social, ces opérations remettent aussi en question la préservation du patrimoine. À Rabat, les quartiers détruits ne sont pas de simples bidonvilles, mais des lieux chargés d’histoire, mêlant classes sociales, générations et traditions. « Ils veulent raser un quartier historique sans pitié ni compassion », s’indigne un enseignant, initiateur du hashtag #NeTouchezPasÀMonQuartier.

Ce sont des lieux où sont nés des figures politiques, des résistants, des artistes. Les autorités semblent les considérer comme des obstacles à la modernisation. Cette vision de développement nie l’histoire collective et efface les mémoires. Détruire ces quartiers, c’est aussi faire table rase de pans entiers de l’identité marocaine.

Commissions d’enquête ou écran de fumée ?

Face à la montée de la colère populaire, le ministère de l’Intérieur a annoncé la mise en place de commissions d’enquête administratives. Objectif officiel : vérifier la légalité des démolitions et protéger les droits des citoyens. Mais ces mesures arrivent bien tard, comme un pansement sur une plaie béante. Le nombre de plaintes explose, en particulier dans les régions Casablanca-Settat et Rabat-Salé-Kénitra, où cafés, commerces, entrepôts et habitations ont été réduits à néant.

Les témoignages convergent : les procédures ne sont pas respectées, les démolitions se font sans préavis, souvent sur des terrains agricoles ou des propriétés familiales transmises depuis des générations. Même les commerçants légalement installés subissent le même sort. La justice est rarement saisie, les autorités agissent de manière unilatérale, et les recours sont inexistants ou ignorés.

Un développement urbain au goût amer

Les autorités marocaines défendent leur action en invoquant la modernisation, la durabilité et l’amélioration du cadre de vie. Mais à quoi bon rénover une ville si ses habitants n’y trouvent plus leur place ? Cette politique urbaine, telle qu’elle est menée, sacrifie l’humain sur l’autel de l’image. L’accueil de la Coupe du monde ne justifie pas de faire des centaines de familles les victimes collatérales d’un projet national.

En prétendant réaménager le tissu urbain, le gouvernement marocain est en train de déchirer le tissu social. Si l’ambition de modernité est légitime, elle aurait dû être accompagnée de justice, de respect des droits et de dignité humaine. À ce jour, c’est une vision brutale, autoritaire et déshumanisante qui domine. Une chose est sûre : pour beaucoup de Marocains, la « ville de demain » est en train de devenir un cauchemar d’aujourd’hui.

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Je suis passionné de l’actualité autour des pays d’Afrique du Nord ainsi que leurs relations avec des États de l’Union Européenne.
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