L’Histoire bégaie en Côte d’Ivoire : Alassane Ouattara, la tentation de trop


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Alassane Ouattara
Alassane Ouattara, Président de la Côte d'Ivoire

Par-delà les discours de stabilité et de croissance, la candidature d’Alassane Ouattara à la prochaine présidentielle ivoirienne soulève de vives inquiétudes. Car derrière les chiffres et les slogans, plane l’ombre menaçante des heures sombres de 2010-2011.

Alassane Ouattara aime se présenter comme l’homme de la modernité économique et de la stabilité retrouvée. Pourtant, à y regarder de plus près, cette image de Président bâtisseur masque une réalité bien moins reluisante : celle d’un système politique verrouillé, d’une opposition muselée, et d’un État qui peine à réconcilier ses enfants.

Sa volonté de briguer un nouveau mandat, malgré les promesses de retrait et les controverses juridiques entourant la légitimité d’un tel acte, résonne comme une provocation dans un pays encore traumatisé par la crise post-électorale de 2010-2011. À l’époque, la dispute sanglante autour des résultats du scrutin avait plongé la Côte d’Ivoire dans le chaos, causant la mort de plus de 3 000 personnes et fracturant profondément le tissu social. Avons-nous tiré les leçons de cette tragédie ? Rien n’est moins sûr.

La Constitution : instrument de pouvoir ou fondement de la République ?

En 2016, Alassane Ouattara a initié une nouvelle Constitution. L’un des arguments avancés à l’époque était d’asseoir durablement la démocratie ivoirienne. Or, c’est cette même Constitution qui, interprétée à la lettre ou à la carte, selon les intérêts du moment, lui permettrait aujourd’hui de se représenter. Ce glissement dangereux d’une loi fondamentale qui devient un outil au service d’un individu rappelle les pratiques des régimes autoritaires, pas celles d’une démocratie apaisée.

Les partisans du Président sortant avancent que le compteur des mandats a été remis à zéro. Mais au-delà des arguties juridiques, la question centrale demeure : où est la parole donnée ? Où est la cohérence d’un homme qui, en 2020 encore, affirmait vouloir passer la main à une nouvelle génération ?

Un climat politique vicié

À quelques mois de l’élection, le paysage politique ivoirien est miné par les tensions, les arrestations d’opposants, les intimidations et un climat de méfiance généralisée. Les grandes figures de l’opposition, Laurent Gbagbo, Henri Konan Bédié (aujourd’hui disparu), ou encore Guillaume Soro, et tout récemment Tidjane Thiam ont été tour à tour écartées, poursuivies ou marginalisées.

Plutôt que de construire un environnement inclusif, Ouattara a renforcé un système à sa main, marginalisant les voix dissidentes et fragilisant le pluralisme démocratique. Une démocratie sans réelle opposition, sans liberté de la presse, et sans justice indépendante, ne peut que sombrer dans le mimétisme électoral. La compétition n’a de sens que si elle se déroule dans un cadre équitable. Ce n’est pas le cas aujourd’hui en Côte d’Ivoire.

Le retour des vieux démons

Le spectre de 2010-2011 n’est pas une chimère. La Côte d’Ivoire reste une société profondément divisée, où les tensions ethno-politiques peuvent être facilement instrumentalisées. Le refus d’ouvrir un vrai dialogue politique, la répression des manifestations pacifiques, et l’absence de réforme significative de la commission électorale indépendante (CEI) sont autant d’éléments qui nourrissent l’idée d’une élection jouée d’avance.

Or, une élection sans crédibilité, dans un contexte de frustration et de défiance, est une poudrière. Et l’histoire récente du pays montre à quel point cette poudrière peut s’embraser. Il serait injuste de nier les réussites économiques engrangées sous Ouattara. Mais une croissance à deux vitesses, qui enrichit les élites et oublie les périphéries, ne suffit pas à bâtir la paix. Le développement économique sans démocratie véritable ni réconciliation n’est qu’un mirage.

Une autre voie est possible : le devoir de lucidité

Aujourd’hui, la Côte d’Ivoire a besoin d’un sursaut, d’un renouveau politique, d’un acte de grandeur. Un véritable homme d’État serait celui qui sait se retirer, transmettre, et laisser respirer une démocratie qu’il prétend défendre. En s’accrochant au pouvoir, Ouattara affaiblit ses propres acquis et prend le risque de rallumer les flammes d’un conflit que personne ne souhaite revivre.

Cet éditorial n’est pas un pamphlet partisan. Il est un appel à la lucidité. À l’heure où tant de pays africains s’enfoncent dans la personnalisation du pouvoir, les Ivoiriens méritent mieux qu’un troisième ou quatrième mandat déguisé. Ils méritent une transition démocratique crédible, apaisée, et porteuse d’espoir.

Choisir l’avenir et non répéter le passé

Alassane Ouattara a eu son temps. L’histoire l’a placé aux commandes dans des circonstances exceptionnelles. Mais vouloir prolonger son règne, c’est fragiliser tout l’édifice républicain. Et risquer de rouvrir les plaies encore mal refermées d’une crise nationale dont la Côte d’Ivoire n’a pas fini de panser les blessures. Il est temps de choisir l’avenir, pas la répétition du passé.

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Très attaché à l’Afrique Centrale que je suis avec une grande attention. L’Afrique Australe ne me laisse pas indifférent et j’y fais d’ailleurs quelques incursions
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