Maroc : Benkirane appelle Mohammed VI à régner et gouverner « avec plus de clarté »


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Abdelilah Benkirane
Abdelilah Benkirane

Abdelilah Benkirane ravive un débat délicat au cœur du paysage politique marocain : celui de l’équilibre entre monarchie et institutions élues. En appelant le roi Mohammed VI à exercer son autorité « avec plus de clarté », l’ancien chef du gouvernement du PJD cherche à redéfinir les contours du pouvoir royal sans en contester la légitimité. Ses déclarations, à la fois prudentes et audacieuses, résonnent comme une mise en garde contre une centralisation accrue du pouvoir, tout en réaffirmant la monarchie comme socle de stabilité nationale.

Une critique ouverte et symbolique

Lors d’une série d’interventions publiques, Abdelilah Benkirane, ancien chef du gouvernement et actuel secrétaire général du Parti de la Justice et du Développement (PJD), a relancé le débat sur la place de la monarchie dans la vie politique marocaine. Tout en réaffirmant sa fidélité au roi Mohammed VI, il met en garde contre les dérives d’une monarchie trop présente dans les affaires parlementaires.

Au Maroc, la scène politique a été secouée par les propos tranchants d’Abdelilah Benkirane. L’ex-chef du gouvernement a reproché au Palais de vouloir étendre son influence jusque dans le champ parlementaire, brouillant ainsi, selon lui, la séparation entre la monarchie et les institutions élues. « Le discours royal ne doit pas être perturbé », a déclaré Benkirane, estimant que toute tentative d’instrumentalisation du roi ou de son image dans le jeu politique serait contraire à l’esprit de la Constitution et aux traditions institutionnelles du royaume. Selon lui, la monarchie, tout en restant le pilier de l’État marocain, doit conserver une distance claire avec les arènes partisanes et parlementaires.

Benkirane rejette l’idée d’une monarchie parlementaire

Lors d’une réunion avec les jeunes du PJD, samedi 8 novembre, Benkirane a exprimé son opposition catégorique à l’instauration d’une monarchie parlementaire au Maroc. Il a mis en garde contre les « slogans séduisants » prônant ce modèle de régime. « C’est une idée qui m’agace. Je ne la partage pas. Les Marocains n’ont pas besoin d’un roi qui règne sans gouverner, car ils ne le respecteraient pas. À mon avis, il faut que le roi règne et gouverne, mais avec plus de clarté », a-t-il affirmé.

L’ancien chef du gouvernement a poursuivi en avertissant que ce modèle pourrait profiter à « certains énergumènes » susceptibles de « mettre la main sur le pays, l’armée et la justice ». « Il faut faire très attention », a-t-il ajouté, avant de rappeler que la monarchie constitue selon lui « la seule institution capable d’assumer certains rôles essentiels », ce qui explique « l’unanimité des Marocains autour d’elle ».

Le fond du désaccord

Il a également tenu à rappeler la nature singulière du rôle du roi dans le système marocain : « Sa Majesté le Roi n’appartient à aucun parti politique, ni à une tribu gouvernante, ni à un corps constitué tel que l’armée ou la police. Sa Majesté a le statut d’arbitre, un rôle qui l’engage à observer une équidistance avec l’ensemble des partis ». Dans son allocution, Benkirane a enfin classé la monarchie marocaine parmi « les premiers régimes du monde arabe », un positionnement qu’il attribue aux avancées du pays sur les plans économique, politique et en matière de droits de l’Homme.

Cette posture, à première vue paradoxale, révèle le cœur du débat : Benkirane ne conteste pas la monarchie en soi, mais s’oppose à ce qu’il perçoit comme une centralisation excessive du pouvoir royal dans les affaires politiques. Pour lui, la monarchie doit rester un arbitre et un garant de stabilité, non un acteur qui se substitue aux institutions élues. Or, selon plusieurs observateurs, l’influence du Palais tend ces dernières années à se renforcer dans les domaines économique, diplomatique et législatif, brouillant les frontières entre pouvoir exécutif et autorité royale.

Un message à double portée

Benkirane redoute que cette dynamique n’affaiblisse le Parlement et les partis politiques, déjà fragilisés par la défiance populaire. Malgré la virulence de ses propos, Benkirane reste fidèle à une position nuancée : il défend la monarchie comme pilier du système marocain, tout en alertant contre les dérives possibles. Ce double discours, souvent mal interprété, illustre la difficulté des partis politiques marocains à se positionner face à une monarchie omniprésente. Des proches du Palais auraient exprimé un certain agacement face à ses récentes déclarations. Le souverain, de son côté, n’a pas réagi publiquement.

Mais ces critiques rappellent les tensions anciennes entre le PJD et la monarchie, notamment à la fin du mandat de Benkirane en 2017. Le débat relancé par Benkirane pose une question centrale : jusqu’où la monarchie marocaine peut-elle intervenir dans la sphère politique sans compromettre la séparation des pouvoirs ? La Constitution de 2011, adoptée à la suite du mouvement du 20 février, avait renforcé les prérogatives du gouvernement et du Parlement tout en maintenant au roi un rôle d’arbitre et de garant de la stabilité.

Éviter de devenir une monarchie intrusive

Aujourd’hui, Benkirane redoute que cet équilibre soit en train de se rompre. Pour lui, la légitimité du roi repose sur sa distance vis-à-vis des querelles partisanes et sur sa capacité à maintenir l’unité du pays au-dessus des intérêts politiques. « Le roi doit régner et gouverner, mais avec plus de clarté », martèle-t-il, comme pour rappeler qu’une monarchie forte ne doit pas devenir une monarchie intrusive. En s’exprimant ainsi, l’ancien chef du gouvernement envoie un message à deux destinataires.

En effet, ce message s’adresse déjà au Palais, pour l’avertir des dangers d’un glissement institutionnel. Ensuite, à la classe politique, pour lui rappeler sa responsabilité dans la défense de la représentativité populaire. Dans un Maroc en mutation, où les attentes sociales grandissent et où la scène politique semble en perte de crédibilité, le débat sur le rôle du roi dans la gouvernance nationale n’a jamais été aussi sensible.

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Je suis passionné de l’actualité autour des pays d’Afrique du Nord ainsi que leurs relations avec des États de l’Union Européenne.
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