Madagascar : les évêques sonnent l’alarme contre un retour aux dérives du passé


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Colonel Randrianirina
Colonel Randrianirina

Quelques semaines après la chute d’Andry Rajoelina, l’Église catholique malgache met en garde les nouvelles autorités contre une transition qui risquerait de reproduire les dérives ayant provoqué la colère populaire. Les évêques exhortent le président Michaël Randrianirina à engager une rupture qui soit à la fois profonde, sociale et éthique, tout en appelant la population à une responsabilité collective.

Réunis en assemblée plénière à Antananarivo ce samedi, les 31 évêques de la Conférence épiscopale de Madagascar ont livré un message ferme et nuancé au nouveau pouvoir. Tout en reconnaissant la légitimité du « changement de régime » survenu après le soulèvement populaire d’octobre, les prélats alertent sur des signaux préoccupants, susceptibles de détourner la transition des aspirations de la jeunesse et du peuple.

Une transition sous pression : le risque d’un « retour en arrière »

Selon la déclaration des prélats, l’Église observe « l’émergence de personnes payées pour saboter le changement », semant confusion et désordre. Ces phénomènes, affirment-ils, font craindre « le retour des anciennes pratiques et des anciens acteurs » responsables, selon eux, de la crise actuelle.

Ce rappel, lourd de sens, est fait à un moment où le Président Michaël Randrianirina tente d’installer son autorité dans un contexte institutionnel fragile, marqué par la fuite et la démission forcée de l’ex-président, Andry Rajoelina, et une forte attente de justice sociale.

Les évêques insistent : la transition ne doit pas être captée par des réseaux de pouvoir hérités de l’ancien régime, ni s’éloigner du mouvement populaire initié par les jeunes, épicentre de la contestation qui a renversé l’équilibre politique.

L’Église appelle à une rupture réelle et non symbolique

Dans un pays éprouvé par les coupures d’eau, les délestages chroniques, la corruption systémique et des années d’abus de pouvoir, les évêques rappellent les attentes majeures de la population. Ils exhortent les nouvelles autorités à dépasser un simple « changement de visages ».

La rupture doit être structurelle en passant par des réformes économiques et sociales profondes, une politique d’austérité exemplaire, la fin des privilèges hérités de l’ancien système, et la mise en œuvre de politiques équitables pour l’ensemble du territoire et non seulement pour les grandes villes.

Ce message se veut un avertissement clair au Président Randrianirina, dont les premières décisions seront scrutées comme autant de signes de fidélité ou de trahison aux aspirations du mouvement populaire.

La Conférence épiscopale insiste également sur le besoin de restaurer la justice dans un pays miné par l’impunité. Mais, elle trace une ligne rouge : la justice ne doit pas être confondue avec une vengeance politique. Cette mise en garde vise à éviter une chasse aux sorcières surtout que plusieurs figures de l’ancien régime sont déjà ciblées par des enquêtes judiciaires ouvertes depuis la transition. Pour l’Église, une justice crédible nécessite la transparence, la légalité et l’équité, et non l’instrumentalisation politique.

Responsabiliser le peuple : un discours moral et civique

La lettre épiscopale ne s’adresse pas uniquement au pouvoir. Les évêques interpellent aussi les citoyens, estimant qu’« il n’est pas juste de toujours tout attendre des dirigeants ».
Changer le pays implique, selon eux, une « conversion » collective : modifier les comportements quotidiens, renoncer aux pratiques informelles, combattre la corruption ordinaire et participer activement à la construction d’un État responsable.

Dans une atmosphère politique incertaine, la voix de l’Église catholique – influente et souvent perçue dans beaucoup de pays comme une institution stabilisatrice – cherche à cadrer la transition, à la fois pour éviter l’accaparement du pouvoir et pour encourager une réforme durable.

Le message des évêques rappelle que la transition malgache n’est pas seulement un moment politique : c’est une épreuve de vérité. Le nouveau Président, Michaël Randrianirina, devra montrer, très rapidement, s’il est en mesure d’incarner la rupture attendue, ou si Madagascar risque de retomber dans les cycles de crise qu’elle pensait avoir laissés derrière elle.

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Serge Ouitona, historien, journaliste et spécialiste des questions socio-politiques et économiques en Afrique subsaharienne.
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