
Dans Les espions du Président, Antoine Izambard et Pierre Gastineau lèvent le voile sur les relations souvent opaques entre l’Élysée, les services de renseignement français et plusieurs capitales africaines. De la lutte contre le terrorisme sahélien aux batailles économiques en Afrique centrale, en passant par les ingérences discrètes dans les transitions politiques, le livre offre une plongée rare dans l’envers du décor de la stratégie française sur le continent.
Une enquête qui expose l’Afrique comme terrain privilégié des opérations françaises, c’est ce que raconte le livre « Les espions du Président ». Il explique comment, depuis plus de vingt ans, l’Afrique demeure l’un des champs d’action prioritaires des services français. Le livre d’Izambard et Gastineau montre, documents internes à l’appui, comment l’Élysée mobilise ses réseaux pour peser sur des équilibres politiques fragiles, protéger ses intérêts économiques ou sécuriser ses positions militaires.
Selon les auteurs, la centralisation extrême du renseignement autour du chef de l’État a transformé le rôle des services : l’Afrique est devenue un espace d’influence stratégique où Paris avance souvent masqué. Ils décrivent une multiplication des « missions discrètes » : circulations d’émissaires officieux, collecte ciblée d’informations sensibles, interventions indirectes dans des crises locales.
Du Sahel aux Grands Lacs : les lignes rouges mouvantes de l’Élysée
L’ouvrage revient, entre autres, sur plusieurs dossiers brûlants :
- la coopération sécuritaire avec certains régimes sahéliens malgré les controverses sur les droits humains ;
- la rivalité latente avec la Russie et les Émirats arabes unis en Centrafrique, au Soudan ou au Mali ;
- les tensions diplomatiques autour de l’influence économique en Afrique de l’Ouest ;
- la surveillance croissante des élites politico-militaires dans la région des Grands Lacs.
Izambard et Gastineau décrivent comment des « notes blanches » ont parfois servi à orienter l’Élysée dans ses arbitrages sur la Libye, le Niger ou le Cameroun.
Plusieurs passages évoquent aussi le rôle d’intermédiaires privés travaillant tantôt pour Paris, tantôt pour des gouvernements africains, brouillant les frontières entre diplomatie officielle et opérations parallèles.
Réseaux privés, intérêts économiques : l’ombre des barbouzes autour des grandes entreprises françaises
Les espions du Président souligne un phénomène déjà documenté mais rarement décrit avec autant de précision : le continuum entre renseignement, diplomatie économique et intérêts industriels.
Des sociétés françaises actives dans les mines, les télécoms, les infrastructures ou le pétrole ont parfois bénéficié d’informations remontées par les services, selon les auteurs.
Plus préoccupant, certains réseaux privés, anciens militaires, consultants, ex-agents, graviteraient encore autour des cercles du pouvoir pour défendre des intérêts parfois éloignés de la ligne officielle de la France.
Le livre montre comment ces réseaux ont tenté, par exemple, d’influencer des contrats liés aux ports africains, à des concessions minières ou à des partenariats sécuritaires.
Une France affaiblie mais toujours active : la fin d’une certaine impunité ?
L’un des fils conducteurs du livre est clair : l’influence française en Afrique n’a pas disparu, elle s’est transformée. Moins visible, plus fragmentée, parfois en concurrence avec ses propres réseaux.
L’Élysée tente de garder la main, mais dans un continent où la Turquie, la Russie, le Rwanda, la Chine ou les Émirats avancent vite, les marges de Paris se réduisent. Le renseignement devient alors un outil pour anticiper ces mouvements, maintenir des accès à certaines élites, ou peser discrètement sur des transitions politiques.
Izambard et Gastineau posent une question sensible : cette stratégie est-elle encore viable alors que l’opinion africaine réclame transparence, souveraineté et rupture avec les logiques françafricaines ?
Un ouvrage qui contribue à un débat essentiel pour l’Afrique et pour la France
En dévoilant coulisses, tensions internes et rivalités d’influence, Les espions du Président apporte une pièce importante au dossier toujours ouvert de la présence française en Afrique.
Le livre ne prétend pas juger, mais il dévoile un mode d’action politique où le continent reste un terrain essentiel, parfois au détriment de la stabilité locale et de la compréhension des aspirations africaines. À l’heure où l’Afrique redessine ses alliances, où les opinions publiques rejettent les tutelles extérieures et où les crises sécuritaires se multiplient, cette enquête jette une lumière crue sur les pratiques d’un autre temps, qui peinent désormais à se camoufler.





