
Les Émirats arabes unis, petite puissance du Golfe, s’affirme comme partenaire privilégié des régimes militaires sahéliens, combinant aide humanitaire, investissements massifs et coopération sécuritaire. En offrant un soutien « sans conditions politiques« , Abou Dhabi comble habilement le vide laissé par les puissances occidentales et redessine la carte des influences dans une région stratégique.
La visite du ministre d’État émirati Sheikh Shakhboot bin Nahyan Al Nahyan à Bamako confirme l’importance des relations entre les Émirats arabes unis et le Sahel. Cette rencontre avec le président Assimi Goïta, tenue le 20 mai 2025, a officialisé un partenariat stratégique fondé sur trois principes cardinaux : souveraineté nationale, liberté de choix stratégique et primauté des intérêts vitaux du peuple malien.
Ce qui distingue fondamentalement l’approche émiratie des anciens partenaires occidentaux, c’est son positionnement comme investisseur et allié « sans conditions politiques« , une posture qui résonne particulièrement auprès d’une junte malienne en quête de nouveaux soutiens depuis le retrait français.
Cette visite à Bamako s’inscrit dans une tournée diplomatique minutieusement orchestrée qui a conduit Sheikh Shakhboot à Ouagadougou puis Niamey en l’espace de 48 heures, renforçant les liens avec les trois régimes militaires de la zone Liptako-Gourma, précisément là où les chancelleries occidentales réduisent leur présence ou ferment leurs portes.
De l’aide humanitaire aux livraisons d’armes : une stratégie à double face
Sur le plan sécuritaire, les Émirats ne se contentent plus d’un rôle de bailleur dans la lutte antiterroriste. Leur mutation en fournisseur d’équipements militaires se concrétise par des actions significatives. En avril 2025, le Tchad a ainsi reçu deux systèmes chinois FK-2000, accompagnés de missiles et d’obus, financés par Abou Dhabi. Plus controversée, la présence émiratie dans le couloir d’Amdjarass entre le Tchad et le Soudan se manifeste par des vols cargo soupçonnés d’acheminer du matériel militaire aux Forces de soutien rapide soudanaises, malgré les démentis officiels d’Abou Dhabi.
La stratégie émiratie au Sahel s’appuie également sur une diplomatie humanitaire ambitieuse. Le programme UAE Food Bank revendique près de 29 millions de bénéficiaires en 2024, avec une augmentation de 55% en un an et des antennes désormais établies au Niger, au Mali et au Burkina Faso. Cette aide alimentaire, rès attendue après le départ des ONG occidentales, acheminée via les plateformes logistiques d’Abou Dhabi et de Dubaï, renforce l’influence émiratie tout en créant une forme de dépendance logistique des capitales sahéliennes.
Une offensive économique sans précédent dans un contexte de rivalités géopolitiques
L’offensive économique émiratie se déploie également avec force dans la région. Selon l’Institut international d’études stratégiques (IISS), les Émirats ont promis 97 milliards de dollars d’investissements en Afrique sur la période 2022-2023, un montant trois fois supérieur aux engagements chinois sur la même période. Une part croissante de ces investissements cible spécifiquement le Sahel : projets solaires transfrontaliers pour électrifier la zone Liptako-Gourma portés par l’entreprise Masdar, rachats d’or burkinabè exporté via Dubaï par des négociants émiratis, discussions sur l’hydrogène vert au Niger ou projets de transformation du coton malien.
Cette stratégie multidimensionnelle répond à plusieurs objectifs pour Abou Dhabi. D’abord, sécuriser les flux de matières premières stratégiques comme l’or et l’uranium, ainsi que l’accès aux énergies d’avenir comme l’hydrogène vert, permettant ainsi une diversification des revenus émiratis au-delà des hydrocarbures.
Ensuite, projeter l’image d’un partenaire musulman modéré, concurrent du Qatar, de la Turquie et de l’Iran dans la région. Enfin, combler le vide laissé par le retrait occidental en offrant des financements rapides sans conditionnalités démocratiques.
Cependant, cette diplomatie émiratie n’est pas sans zones d’ombre. L’ambiguïté stratégique persiste entre l’aide humanitaire affichée et les soupçons d’armement de certains groupes armés, notamment au Soudan. Par ailleurs, l’absence de mécanismes de transparence sur les prêts et les transferts d’armes soulève des questions sur la gouvernance à long terme de ces partenariats. Enfin, des rivalités émergent avec d’autres puissances présentes dans la région, notamment la Russie au Mali et la Turquie au Niger, complexifiant davantage l’échiquier géopolitique sahélien.
La visite hautement médiatisée de Sheikh Shakhboot bin Nahyan à Bamako consacre donc le Sahel comme théâtre prioritaire de la diplomatie émiratie. En proposant aux juntes sahéliennes une combinaison inédite de sécurité, de financement et de respect affiché de la souveraineté, les Émirats arabes unis occupent stratégiquement l’espace laissé vacant par Paris et Washington.