Le rapport CNUCED 2025 alerte sur l’effondrement de l’investissement tunisien


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Tunisie baisse de la croissance
Tunisie baisse de la croissance

L’économie tunisienne traverse une crise d’investissement sans précédent. Selon le nouvel Examen de la politique d’investissement publié par la CNUCED, le taux d’investissement du pays s’est effondré à 16% du PIB sur la période 2020-2024, contre 19,3% en 2016. Cette chute marque le plus bas niveau enregistré depuis quinze ans et sonne l’alarme sur l’avenir économique du pays. Entre contraction des flux d’investissements directs étrangers, resserrement du crédit domestique et complexité réglementaire paralysante, la Tunisie s’enlise dans un cercle vicieux qui menace sa capacité de relance.

Les chiffres révélés par la CNUCED dressent un tableau particulièrement sombre de la situation tunisienne. Avec un taux d’investissement global de 16% du PIB toutes sources confondues entre 2020 et 2024, la Tunisie se situe très loin du seuil de 25% généralement considéré comme nécessaire pour soutenir la croissance. Ce décrochage majeur par rapport aux standards internationaux et aux besoins du développement économique est inquiétant.

La situation se révèle encore plus préoccupante lorsqu’on examine les flux d’investissements directs étrangers. Sur la période 2019-2023, la Tunisie n’a attiré en moyenne que 728 millions de dollars d’IDE par an, soit une chute drastique comparé aux 974 millions de dollars enregistrés entre 2014 et 2018. Cette érosion place le pays dans une position défavorable face à ses voisins maghrébins, en particulier l’Égypte qui attire près de 8,25 milliards de dollars.

Les racines profondes du mal tunisien

L’analyse de la CNUCED identifie un double étau qui paralyse la dynamique d’investissement tunisienne. D’une part, la hausse vertigineuse du coût du financement domestique étouffe l’initiative privée. Pour financer un déficit budgétaire et commercial devenu chronique, l’État tunisien absorbe massivement la liquidité bancaire disponible, créant un phénomène d’éviction qui bride le secteur privé des ressources financières nécessaires à son développement.

D’autre part, la complexité du cadre réglementaire décourage les investisseurs tant nationaux qu’étrangers. Le système actuel impose des licences multiples, maintient un contrôle des changes particulièrement strict et souffre d’une digitalisation incomplète des procédures administratives. Ces obstacles bureaucratiques génèrent une incertitude permanente qui rebute les porteurs de projets et nuit gravement à l’attractivité du territoire tunisien.

Des conséquences macroéconomiques dramatiques

Cette crise d’investissement produit des effets en cascade sur l’ensemble de l’économie tunisienne. Le Fonds monétaire international ne prévoit qu’une croissance de 1,4% du PIB pour 2025 et 2026, plaçant la Tunisie à la dernière place en Afrique du Nord en termes de dynamisme économique. Cette croissance léthargique alimente un cercle vicieux où la faiblesse de l’activité économique réduit les perspectives d’investissement, aggravant encore la situation.

Le marché du travail subit de plein fouet cette stagnation économique. Avec un taux de chômage persistant de 15% au dernier trimestre 2024 selon l’Institut national de la statistique, la Tunisie peine à créer les emplois nécessaires pour absorber la progression de sa population active. Cette situation freine également la montée en gamme industrielle du pays, compromettant sa compétitivité à long terme note le rapport.

Le sous-investissement public constitue un autre défi majeur identifié par la CNUCED. Les infrastructures dans des domaines cruciaux comme les routes, l’approvisionnement en eau et l’énergie accusent un retard croissant. Cette dégradation du capital public risque d’éroder davantage la compétitivité-coût du pays et de décourager les investissements privés.

Les pistes de sortie de crise selon la CNUCED

Face à cette situation critique, la CNUCED propose une feuille de route articulée autour de quatre axes prioritaires assortis d’échéances précises. Sur le volet financement, l’organisation recommande la création d’un fonds souverain capable de co-investir avec la diaspora tunisienne tout en mobilisant les marchés de capitaux verts, une initiative à déployer dans un horizon de 12 à 24 mois.

La facilitation des investissements constitue un second chantier urgent. La CNUCED préconise la mise en place d’un guichet unique numérique et la rationalisation drastique des 72 autorisations sectorielles actuellement recensées. Ces mesures pourraient être opérationnelles dans un délai de 6 à 18 mois selon les experts.

La stabilité macroéconomique nécessite également des ajustements rapides. L’allègement des restrictions de change pour les réinvestissements et l’instauration d’un mécanisme public de couverture du risque de taux pourraient être mis en œuvre dans les 6 à 12 mois à venir. Enfin, le développement de secteurs porteurs passe par des pactes d’investissements ciblés dans l’électronique, l’agro-industrie et l’énergie solaire, avec trois projets de plus de 1,6 milliard de dollars déjà annoncés pour 2025.

Les experts locaux partagent l’inquiétude exprimée par la CNUCED. L’économiste Ridha Chkandali tire la sonnette d’alarme en soulignant qu’un ratio d’investissement de 16% ne permet même pas de compenser l’amortissement du capital existant. Selon ses calculs, la Tunisie risque de voir sa croissance potentielle plafonner à 1% d’ici trois ans, une perspective particulièrement préoccupante.

Des seuils critiques à surveiller

La CNUCED a défini plusieurs indicateurs clés dont le franchissement signalerait une aggravation de la crise. Concernant le ratio investissement sur PIB, un niveau inférieur à 18% est jugé critique. Avec ses 16% actuels, la Tunisie a déjà franchi la zone rouge et risque une contraction durable de l’emploi d’ici 2026.

Pour les investissements directs étrangers nets, le seuil d’alerte est fixé à moins d’un milliard de dollars par an. Avec seulement 730 millions de dollars en 2024, le pays se dirige vers une pénurie de devises et une pression accrue sur le dinar. Enfin, un déficit courant supérieur à 8% du PIB déclencherait probablement un déclassement supplémentaire par l’agence Fitch, alors que le déficit actuel atteint déjà 7,4%.

Le diagnostic sans concession de la CNUCED agit comme un véritable électrochoc pour les autorités tunisiennes. Au-delà d’un simple retard par rapport à ses voisins, la Tunisie fait désormais face à une menace de sous-investissement structurel qui pourrait compromettre durablement son développement économique.

Masque Africamaat
Kofi Ndale, un nom qui évoque la richesse des traditions africaines. Spécialiste de l'histoire et l'économie de l'Afrique sub-saharienne
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