Mission 300 : la BAD lance son offensive pour éclairer l’Afrique


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ampoule electrique

Après plus d’un siècle d’électrification chaotique, l’Afrique tente de rattraper son retard énergétique. Au Forum africain de l’énergie 2025 du Cap, la Banque africaine de développement a dévoilé une stratégie ambitieuse : raccorder 300 millions d’Africains d’ici 2030. Un défi colossal pour un continent où 600 millions de personnes vivent encore sans électricité.

Les leçons d’une histoire électrique manquée

L’histoire de l’électricité en Afrique raconte un paradoxe cruel. Dès 1860, l’Afrique du Sud présentait un prototype de lampe à arc et inaugurait le premier système télégraphique électrique entre Le Cap et Simon’s Town. En 1882, Kimberley devenait la première ville africaine à éclairer ses rues à l’électricité, devançant même Londres qui utilisait encore des becs de gaz.

Au Sénégal, Saint-Louis fut éclairée à l’électricité dès 1887 par l’ingénieur Hippolyte Vaubourg, avec la première centrale du pays mise en service en 1889. Ces pionniers laissaient présager un développement rapide. Pourtant, lorsque la majorité des pays africains acquirent leur indépendance au début des années 1960, les réseaux électriques demeuraient peu développés et se limitaient aux principales agglomérations, ainsi qu’à quelques centres industriels ou miniers. Les taux d’accès à l’électricité des ménages étaient alors minime.

Cette stagnation s’explique par la logique extractive coloniale. Durant la période de l’après Seconde Guerre mondiale, l’électrification ne cadrait pas avec les objectifs coloniaux centrés sur l’extraction des matières premières et le déploiement administratif. L’extension des réseaux se heurtait à la dispersion de l’habitat africain, aux niveaux limités de demande d’électricité des villages et à la faible capacité financière des ménages, rendant la solution en réseau coûteuse et peu rentable financièrement dans les zones rurales.

Une urgence devenue existentielle

Aujourd’hui, les chiffres révèlent l’ampleur du défi. Plus de 640 millions d’Africains n’ont pas accès à l’énergie, ce qui correspond à un taux d’accès légèrement supérieur à 40 %, le niveau le plus faible du monde. La consommation d’électricité par habitant en Afrique subsaharienne (Afrique du Sud exclue) est de 180 kWh, contre 13 000 kWh par habitant aux États-Unis et 6500 kWh en Europe.

Cette fracture énergétique handicape lourdement le développement. L’accès insuffisant à l’électricité cause chaque année des centaines de milliers de décès dus à l’utilisation de foyers à bois pour la cuisine ; entrave le fonctionnement des hôpitaux et des services d’urgence ; compromet les objectifs d’éducation et accroît le coût de la pratique des affaires.

Mission 300 : un plan de bataille inédit

Le 27ᵉ Forum africain de l’énergie (AEF 2025), qui se tient du 17 au 20 juin au Cap, s’impose cette année comme la rampe de lancement des initiatives phares de la Banque africaine de développement (BAD). L’institution y met en avant sa Mission 300 — un partenariat avec la Banque mondiale visant à raccorder 300 millions d’Africains au réseau d’ici 2030 — et annonce la sortie de l’édition 2024 de son Indice de réglementation de l’électricité (ERI).

Lancée en janvier lors du Sommet africain de l’énergie à Dar es Salam, la Mission 300 réunit aujourd’hui douze pays pionniers disposant de « Pactes nationaux pour l’énergie » détaillant réformes et investissements prioritaires. À elle seule, la BAD s’est engagée à assurer la connexion de 50 millions de personnes, en alignant financements et politiques publiques avec les gouvernements concernés.

La dynamique répond à une urgence démographique : avec 1,3 milliard d’habitants aujourd’hui devenant 2,5 milliards en 2050 selon les projections des Nations unies, ainsi que son taux d’urbanisation très élevé et son développement économique prévisible, les besoins énergétiques du continent vont fortement s’accroître dans les prochaines décennies. Dans le même temps, le continent abrite la population la plus jeune au monde (60 % de moins de 25 ans) ; mobiliser l’énergie propre pourrait créer jusqu’à 100 millions d’emplois nouveaux ou améliorés d’ici 2050, estiment les partenaires de la Mission 300.

Un bilan déjà impressionnant

Parmi les projets emblématiques : Benban en Égypte déploie 1,5 GW de solaire, représentant 20 % de l’objectif renouvelable national. Au Maroc, le méga-complexe Noor Ouarzazate éclaire plus de deux millions de foyers et évite 700 000 tonnes de CO₂ par an.
La BAD pilote en parallèle l’initiative Desert to Power pour déployer 10 GW solaires dans 11 pays du Sahel, ainsi que les guichets SEFA et FEI, spécialisés dans le financement des acteurs privés et des projets d’énergie propre à petite échelle.

Point d’orgue du Forum, le lancement officiel de l’Indice de réglementation de l’électricité aura lieu ce vendredi 20 juin. Publié tous les deux ans, l’ERI 2024 couvre 43 pays africains et cinq organes régionaux, évaluant la qualité des cadres réglementaires et identifiant les réformes prioritaires pour attirer investisseurs et opérateurs. Dans un secteur où la confiance réglementaire s’avère aussi cruciale que le financement, cet outil constitue un guide stratégique pour les gouvernements et les bailleurs.

L’institution parraine également le Youth Energy Summit (YES !), qui réunit plus de 4 000 jeunes professionnels et entrepreneurs afin de catalyser l’innovation et l’emploi dans le secteur. Comme le rappelle un billet de blog conjoint de la BAD et de ses partenaires, chaque nouveau raccordement doit devenir « un tremplin vers l’emploi et la croissance » pour la génération montante d’Africains.

Masque Africamaat
Spécialiste de l'actualité d'Afrique Centrale, mais pas uniquement ! Et ne dédaigne pas travailler sur la culture et l'histoire de temps en temps.
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