
Avec près d’un cinquième de la population mondiale, l’Afrique reste paradoxalement absente des élites universitaires internationales. Aucune de ses universités ne figure dans le Top 200 du classement de Shanghai 2025. Entre fuite des cerveaux massive et initiatives prometteuses, le continent cherche sa voie vers l’excellence académique dans un contexte de croissance démographique sans précédent.
Alors que l’Afrique représente aujourd’hui près de 18,8 % de la population mondiale, soit environ 1,55 milliard de personnes sur un total de près de 8,23 milliards, aucune université du continent ne figure dans le Top 200 du classement mondial de Shanghai (ARWU) 2025. Ce contraste illustre le gouffre qui sépare l’Afrique du reste du monde en matière de formation de haut niveau – malgré sa contribution démographique et économique majeure.
Ce manque de représentation dans les universités les mieux classées expose deux réalités. D’abord, un retard considérable en termes d’infrastructures académiques et de recherche. Alors que certaines nations africaines investissent dans l’enseignement supérieur, ces efforts peinent encore à produire des institutions capables de rivaliser au plus haut niveau mondial.
Fuite des cerveaux massives
Ensuite, une fuite des cerveaux accélérée, faute d’opportunités attractives localement. Des millions de diplômés dits « hautement qualifiés » quittent le continent à la recherche de meilleures conditions de formation ou de carrière. Cette émigration touche particulièrement les professionnels de santé, médecins et infirmiers formés en Afrique. Ils partent massivement exercer dans les pays du Nord, où les infrastructures et les salaires sont plus favorables. Ce phénomène constitue une perte massive pour les pays africains, en termes économiques et humains.
Les conséquences sont multiples. Former une personne coûte cher. Quand elle quitte le continent, c’est non seulement une perte financière, mais aussi une diminution des capacités nationales à résoudre localement les grands enjeux dans des domaines tels que la santé, l’éducation ou les technologies. L’Afrique se retrouve parfois moins armée face aux crises sanitaires, climatiques ou économiques, faute d’acteurs locaux compétents et d’institutions de recherche solides. Le manque de reconnaissance internationale pour les universités africaines perpétue ce cercle vicieux : les jeunes talents, convaincus qu’ils devront aller à l’extérieur pour atteindre l’excellence, ne voient pas les institutions locales comme des tremplins crédibles.
Des initiatives démarrent
Pourtant, plusieurs initiatives prometteuses émergent pour inverser cette tendance. L’Université Panafricaine (PAU), initiative phare de l’Union Africaine, développe un réseau continental d’excellence avec cinq instituts spécialisés répartis sur le continent : sciences et technologies au Kenya, sciences de la terre au Nigeria, eau et énergie en Algérie, gouvernance au Cameroun, et sciences spatiales en Afrique du Sud. L’Association des Universités Africaines (AAU) coordonne également des efforts continentaux avec son plan d’action 2025-2029, tandis que le programme « Innovating Education in Africa » de l’Union Africaine a déjà mobilisé 1,5 milliard de dollars et promu 180 innovations éducatives.
D’autres programmes ciblent spécifiquement la rétention des talents : la Fondation Mastercard finance des bourses d’études continentales, l’African Leadership University forme une nouvelle génération de dirigeants, et des initiatives comme WAAW soutiennent les femmes africaines en STEM. Des programmes de recherche comme FAR-LeaF II en Afrique du Sud offrent des bourses de leadership scientifique de deux ans pour développer la prochaine génération de chercheurs africains.
Cette réalité masque toutefois d’importantes disparités continentales. L’Afrique du Sud domine largement avec l’Université du Cap, suivie de Stellenbosch et Witwatersrand, représentant la moitié du top 10 africain. L’Égypte impressionne par sa représentation massive avec 20 universités dans les classements QS 2026, devant l’Afrique du Sud (11) et la Tunisie (4). Le Maroc émerge avec l’Université Mohammed VI Polytechnique, institution privée de recherche créée en 2016 qui figure déjà dans le top 10 africain. À l’inverse, le Nigeria, malgré ses près de 300 universités et sa population de 230 millions d’habitants, ne place aucune institution dans le top 1000 mondiale.
Une population d’avenir
L’Afrique est en pleine mutation démographique : sa population devrait représenter 25 % de la population mondiale d’ici 2050, voire 38 % d’ici 2100. Pourtant, sa capacité à former des élites et à produire de la connaissance reste marginale à l’échelle mondiale. Sans un soutien massif aux universités – recrutement, financement, collaborations internationales, amélioration des infrastructures – le continent risque de rester à la traîne. Mais s’il parvient à retenir ses talents et à valoriser ses institutions, il pourrait non seulement combler ce retard, mais aussi devenir une force majeure de recherche et développement.
Ce contraste entre une population croissante et un système éducatif encore fragile est alarmant, mais pas irréversible. Avec de la volonté politique, des ressources et des partenariats ciblés, l’Afrique peut et doit se positionner en acteur central du savoir et de l’innovation.