L’Etat algérien est-il à la hauteur du défi terroriste ?


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Des centaines de morts et de blessés, sans compter les dégâts matériels chiffrés à plusieurs milliards de dinars… L’Algérie traverse, ces derniers mois, l’une des plus grandes zones de turbulence qu’elle a connu depuis son accession à l’indépendance. La dernière vague d’attentats a réveillé les vieux démons. Et la politique de la réconciliation nationale, prônée par le gouvernement, semble avoir montré ses limites sur le terrain.

Notre correspondant en Algérie

Les commentaires vont bon train en Algérie où les attentats terroristes se multiplient, avec des pertes en vies humaines et des dégâts matériels énormes. Plusieurs attaques meurtrières ont eu lieu en quelques jours seulement, ce qui s’apparente à un signal fort de la branche Al Qaida aux pays du Maghreb Islamique qui veut imposer sa présence dans toutes les régions du pays.
L’attentat de Bouira, dernier en date, qui a causé la mort de douze employés de la société canadienne SNC- Lavalin, vient s’ajouter à une série d’autres violences perpétrées durant ces trois derniers mois laissant tout le pays en deuil.

Face à cette nouvelle vague de violence terroriste, le discours triomphaliste du pouvoir, selon lequel le terrorisme est dans sa phase « résiduelle » ne tient plus la route. Et la société civile se fait de plus en plus critique vis-à-vis de l’Etat. Ainsi, Hocine Azem, vice président du congrès mondial Amazighe (CMA), une organisation non gouvernementale internationale, estime que « l’Algérie entre dans une période des plus graves jamais connue depuis son indépendance. La recrudescence des actes terroristes un peu partout à travers le territoire national remet sur le tapis la politique de la réconciliation nationale prônée par le gouvernement aux fins de pacifier le pays ». « L’inquiétude, ajoute t-il, est plus que jamais installée chez la population autour de laquelle rode en permanence la mort ».

Un Etat impuissant ?

La famille Khaled, ayant vu l’un des siens déchiqueté lors du récent attentat de Bouira, pleure toujours. « Comment voulez-vous pardonner à ceux qui font couler notre sang à chaque fois. On en a vraiment marre ! Jusqu’à quand allons-nous vivre le cauchemar ? La mort nous guette à chaque coin de la rue », nous a déclaré un membre de la famille de la victime.
Lors de sa visite à Tizi-Ouzou, le jour même de l’attentat contre le siège de la direction des renseignements généraux, le 3 août dernier, le ministre de l’Intérieur algérien Nourredine Yazid Zerhouni a expliqué cette recrudescence des actes terroristes par la stratégie des groupes armés visant à décourager le gouvernement « dans la poursuite de l’opération de redéploiement des forces de sécurité ».

Cependant, le ministre de l’Intérieur algérien a confié à cette occasion l’incapacité des forces de l’ordre à circonscrire toutes les attaques. « Je ne vous cache pas, a-t-il déclaré, que ce genre d’attentat peut survenir n’importe où et à n’importe quel moment. D’ailleurs les attentats à la bombe sont imprévisibles ». Aux Issers, où 45 personnes ont péri le 19 août, dans un attentat meurtrier ayant pour cible l’école de la gendarmerie nationale, M. Zerhouni déclare que « les terroristes sont dans l’impasse » et « ils n’ont aucun objectif politique à atteindre ». Devant ce qui s’apparente à un aveu d’échec, le gouvernement algérien insiste sur « la vigilance et [la nécessité de] faire front commun contre le terrorisme » pour transcender l’épreuve. Mais la population ne semble plus l’entendre de cette oreille car d’aucuns pensent que c’est « à l’Etat d’assurer la sécurité et de la garantir ».

Au niveau de la classe politique, le bruit des bombes n’est pas sans écho. «La réconciliation nationale globale, balayant toutes les considérations partisanes, pour construire les passerelles d’une confiance mutuelle entre le citoyen et son Etat» a été prêchée par le chef de file du Mouvement de la société pour la paix, Abou Djerra Soltani. De même que le parti des travailleurs de Louisa Hanoun s’est manifesté pour dénoncer le terrorisme et appeler à la vigilance. Dans leurs déclarations, ces partis n’ont rien reproché à la politique réconciliatrice prônée par le chef de l’Etat, considérant que la société doit rester mobilisée pour faire face aux actes de violence répétés du GSPC.

Le GSPC recentre son action

Dans son analyse de la recrudescence des actes terroristes en Algérie et de l’élargissement du triangle de la terreur à Bouira, Boumerdes, Tizi-Ouzou, Jijel et même jusqu’à Skikda, Anne Giudicelli, directrice de Terrorisc (structure de conseil opérationnelle sur les menaces politiques et sécuritaire), explique dans les colonnes du quotidien El Watan paru le 21 août que « recrudescence voudrait dire que l’activité du groupe se soit arrêtée ou a été éradiquée ». Or, soutient-elle, « depuis l’intégration du GSPC dans la nébuleuse Al Qaida annoncée par le numéro 2 Ayman Al Zawahiri, en septembre 2006, à la suite de quoi le GSPC s’est renommé Al Qaida dans les pays du Maghreb Islamique (AQMI), le groupe a marqué une montée en puissance qui n’a pas cessé depuis ».

La directrice de Terrorisc, qui estime que le « GSPC a réorienté sa stratégie », considère qu’« on peut parler de continuité dans la capacité d’action du groupe, qui malgré les coups portés par les forces de sécurité du pays, parvient à continuer de le frapper lourdement. En revanche, les derniers attentats font apparaître un recentrage dans la stratégie d’action : Si les modes opératoires, en particulier l’utilisation de voitures piégées ou le recours à l’attentat suicide, s’inscrivent dans les pratiques d’Al Qaida, le choix des cibles est concentré sur les forces de sécurité et notamment la gendarmerie, ce qui reste dans les objectifs traditionnels du GSPC d’avant AQMI ».

L’horreur et l’ignominie côtoient chaque jour que dieu fait les Algériens qui ne savent à quel saint se vouer. La voix de la réconciliation nationale empruntée par un peuple meurtrie ne semble pas mener à bon port à l’heure où les blessures saignent toujours, et l’horizon s’obscurcit davantage.

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